Les Fabriquans de Bas de la Ville de Nismes prirent la liberté d'exposer
    
    
    et de démontrer par un Mémoire imprimé sur la fin de
    
    
    l'année 1758, les funestes effets qui se faisoient dehors sentir de
    
    
    la disposition de l'Arrêt du Conseil du 9 février, qui permet
    
    
    l'exporation des Mêtiers à faire des Bas, non-seulement dans
    
    
    les Provinces de l'intérieur du Royaume, mais encore dans les Païs
    
    
    étrangers. 
             Les Exposans viennent de découvrir que certains Négocians de
      
      
      Genève, à la faveur de cet Arrêt, ont fait acheter en
      
      
      secret et à haut prix par leurs Emissaires plus de 200 Métiers
      
      
      fins et superfins, dont onze ont déjà été
      
      
      expédiés; que ces mêmes Emissaires ont commis à
      
      
      plusieurs Serruriers environ 300 Fontures à platines, et débauchent
      
      
      par des promesses fort avantageuses tous les Ouvriers à faire des
      
      
      Bas. 
     La même manoeuvre se pratique à Lyon, suivant les avis que les
      
      
      Fabriquants de Bas de cette Ville ont donné aux Exposans, en les
      
      
      sollicitant de se joindre à eux pour faire de très humbles
      
      
      représentations sur un objet aussi serieux qu'intéressant pour
      
      
      le bien de l'Etat et du Commerce. 
     Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il est déjà parti plusieurs
      
      
      Ouvriers connus de la seule Ville de Nismes qui doivent être traduits
      
      
      en Russie, et suivre la même destination que les Mêtiers, et
      
      
      Fontures à platines qu'on a enlevés ou commis; en sorte que
      
      
      l'émigrassion des Ouvriers et l'enlèvement des Mêtiers
      
      
      ne peuvent qu'opérer un vuide irréparable dans les Fabriques
      
      
      et le Commerce des Bas des principales Villes du Royaume. 
     En effet la spéculation de la Russie, ou de telle autre Puissance
      
      
      du Nord, est sans difficulté des plus utiles pour cette nation, et
      
      
      des plus désavantageuses pour la nôtre, ainsi qu'on va le
      
      
      démontrer par un calcul très-exact. 
     Il se consomme en Russie au-delà du tiers des Bas qui sortent des
      
      
      Fabriques de Paris, Lyon et Nismes; les droits qui sont perçûs
      
      
      sur chaque paire de Bas à leur entrée en Russie ou en Moscovie
      
      
      sont fixés à 5 livres argent de France: 5 livres. La voiture
      
      
      et frais jusqu'à Dantzic, les Nolis et Assurances de ce Port jusqu'à
      
      
      Petersbourg : 15 sols. En joignant à ces frais la façon d'une
      
      
      paire de Bas fins faite à Nismes : 2 livres 15 sols. Total : 8 livres
      
      
      10 sols 
     Pour faire juger de la différence du bénéfice
      
      
      économique qu’il y a à faire en Russie sur chaque paire de
      
      
      Bas, on observe que le fabriquant, favorisé par le gouvernement qui
      
      
      a en vue d’établir le commerce en cette partie, est dispensé
      
      
      de payer des droits d’entrée sur la matière qu’il tire
      
      
      d’Italie, d’Espagne, et peut-être même de France; de manière
      
      
      qu’il n’est exposé à payer que le seul Nolis ou Assurance qui
      
      
      revient pour une paire de Bas à 10 sols. On donnera à
      
      
      l’ouvrier pour sa façon : 6 livres. Le fabriquant Russien aura
      
      
      conséquemment un profit clair et net de 2 livres au-dessus des Bas
      
      
      de France. Total : 8 livres 10sols 
     Il est hors de doute que la cherté excessive des Métiers et
      
      
      le manque de travail ne déterminent pas les Ouvriers Français
      
      
      à vaincre la répugnance qu’ils pourroient avoir de passer dans
      
      
      un climat aussi rude que celui de la Russie ; tout cede aux loix de la
      
      
      nécessité, l’homme fuit et craint la misère, rien ne
      
      
      lui coûte quand il est assuré de se procurer, par son travail
      
      
      et ses talents, les besoins et les commodités de la vie, qu’il ne
      
      
      sçauroit trouver dans sa Patrie ; il ne restera donc que ceux à
      
      
      qui l’âge avancé ne permettra pas d’entreprendre un voyage de
      
      
      long cours. 
     La désertion des Ouvriers, et l’enlevement des Métiers entraineront
      
      
      la fuite de tout ce qui est analogue aux Fabriques de Bas, comme Serruriers,
      
      
      Teinturiers, Monteurs, Ovaleurs, Devideuses, Brodeuses, etc. Ce qui se passe
      
      
      actuellement doit amener les choses à cette triste catastrophe, si
      
      
      l’autorité suprême n’arrête le mal qui se fait sentir,
      
      
      et dont les suites sont si fort à craindre. 
     Quelque soumission que les Exposans ayent pour les loix du Souverain, ils
      
      
      espèrent de sa bonté qu’il ne désaprouvera pas les
      
      
      très-respectueuses représentations qu’ils prenent la liberté
      
      
      de faire sur les dangereuses conséquences de l’Arrêt du Conseil
      
      
      du 9 fevrier 1758. 
     Le Conseil n’a sans doute eû d’autre vue que l’intérêt
      
      
      de l’Etat et du Commerce, en permettant la sortie et l’exportation des
      
      
      Métiers à faire des Bas hors du Royaume; néanmoins
      
      
      l’expérience qui prévaut à la speculation, nous
      
      
      démontre d’une manière frappante et bien sensible que cette
      
      
      liberté a produit un effet tout contraire : ce Tribunal a pû
      
      
      envisager, en termes génériques et sans distinction, comme
      
      
      main d’oeuvre les Métiers à faire des Bas, dont le produit
      
      
      de la vente chez l’Etranger pouvoit être avantageux au Commerce du
      
      
      Royaume. 
     Quoique ces sortes de Métiers puissent être regardés
      
      
      comme une main d’oeuvre première, il ne s’ensuit pas que leur conformation
      
      
      soit, à beaucoup près, aussi intéressante pour l’Etat
      
      
      que celle du Commerce des Bas, qui en sont le produit, et qui doit faire
      
      
      notre objet principal. On ne doit point se flâter qu’il soit aisé
      
      
      de remplacer les Métiers vendus : pour adopter se sistème,
      
      
      il faudroit ignorer qu’un Ouvrier employe plus de six mois pour en construire
      
      
      un, en dresser les piéces, et le mettre en état de perfection,
      
      
      encore n’est-ce qu’avec le secours du Monteur. En sorte qu’un Souverain qui
      
      
      auroit l’intention de former en peu de temps une Fabrique de Bas, et peupler
      
      
      ses Etats, n’auroit d’autre expedient à prendre, qu’à sacrifier
      
      
      quatre ou cinq millions, pour enlever tout à la fois, et à
      
      
      tout prix, la majeure partie de nos métiers. Il seroit sûr de
      
      
      remplir son projet, la loi vivante du Royaume ne lui oposeroit aucun obstacle;
      
      
      les Ouvriers de toute espèce, attachés à cette Fabrique,
      
      
      seroient nécessités de suivre les Métiers; le Royaume
      
      
      perdroit sans ressource des Citoyens, des Artistes, des Sujets, des
      
      
      Négocians, et des Soldats, et tous les Pays qui se pourvoyent de Bas
      
      
      de France, pourroient absolument s’en passer, et par la suite des tems nous
      
      
      fournir à nous-même la marchandise qu’ils étoient
      
      
      obligés de venir prendre chez nous. 
     Ce n’est pas ici une déclamation vaine et chimerique; le mal est
      
      
      réel, il est connu, il s’agit d’y apporter un prompt remède,
      
      
      pour en arrêter les progrès. Les Exposans n’en voyent pas
      
      
      d’autre que celui d’en détruire la cause dans son principe, en revoquant
      
      
      l’Arrêt du Conseil du 9 fevrier 1758, qui autorise et permet
      
      
      l’exportation des Métiers hors du Royaume, comme le seul moyen de
      
      
      fixer les Ouvrier dans le sein de leur patrie, par l’assurance qu’ils auront
      
      
      de trouver un travail continu et permanent, et pour prévenir la
      
      
      chûte et la ruine entière des Fabriques et du Commerce des Bas. 
     Sindics : TRUCHAUD, LOUIS VALZ, PIERRE LOMBARD, BARON. 
     __________________________________ 
     A NISMES, chez A. A. Belle, Imprimeur-Libraire près le Palais. Ce
      
      
      17. février 1761. 
      
  
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