Caractères extérieurs
des chartes
(Notes tirées du "Manuel de Diplomatique" de A. GIRY, Paris, Librairie
Hachette et Cie, 1894, pages 479 à 492)
L’étude des caractères extérieurs des documents
diplomatiques, c’est-à-dire de la matière sur laquelle ils
ont été tracés, de leur disposition matérielle
et de leur écriture, est proprement du ressort de la paléographie.
Ces caractères toutefois ont trop d’importance pour la critique, ils
sont liés trop étroitement avec la nature des divers documents
pour qu’il ne soit pas nécessaire d’en parler ici. Mais on le fera
brièvement, en renvoyant pour plus de détails aux ouvrages
dont l’objet est l’histoire de l’écriture et la paléographie.
Matière subjective de
l’écriture.
Le papyrus.
Les plus anciens documents diplomatiques qui nous sont parvenus sont écrits
sur papyrus. Bien que le parchemin fût depuis longtemps connu et que
son emploi présentât de nombreux avantages sur celui du papyrus,
matière coûteuse, fragile, sur laquelle on ne pouvait écrire
qu’au calame et d’une écriture large et espacée, cependant
la tradition le fit longtemps préférer pour les actes publics
importants et en particulier pour ceux qui émanaient de
l’autorité souveraine.
On conserve dans divers bibliothèques de l’Europe des fragments de
rescrits impériaux du IVe ou du Ve siècle; ils sont tous sur
papyrus. Il en est de même des documents célèbres, du
VIe siècle, connus sous le nom de Charles de Ravenne,
aujourd’hui dispersés dans un grand nombre de collections.
La chancellerie pontificale se conforma en ce point comme en bien d’autre
aux traditions impériales et employa le papyrus jusqu’au milieu du
XIe siècle.
Les rois mérovingiens adoptèrent le même usage; parmi
leurs diplômes originaux qui se sont conservés plusieurs sont
sur papyrus; le plus ancien est un précepte de Clotaire II de
l’année 625; le plus récent, un jugement de Clovis III de 692.
Mais on se servit encore parfois en France de papyrus pour d’autres actes
jusqu’à la fin du VIIIe siècle; en 787, l’abbé de
Saint-Denis, Maginaire, écrivait sur papyrus un rapport à
Charlemagne sur une mission en Italie.
Le papyrus dont on se servit en Occident au moyen âge fut longtemps
de fabrication égyptienne. Une bulle du pape Jean VIII, de
l’année 876, pour Tournus, a conservé l’estampille arabe du
directeur des finances qui en indique à la fois la provenance et la
date de fabrication (la comparaison de ce document avec d'autres papyrus
d'El-Fayûm a montré que Saïd-Ibn-Abd er Rahmân, dont
le nom figure sur la bulle de Jean VIII, exerçait les fonctions de
directeur des finances en l'an 223 de l'Hégire, c'est-à-dire
en 838 de notre ère. L'original de la bulle de Jean VIII est à
la Bibliothèque nationale, manuscrit latin 8840).
Lorsque l’on eut cessé de fabriquer du papyrus en Egypte,
c’est-à-dire vers le milieu du Xe siècle de l’ère
chrétienne, les fabriques de Sicile purent approvisionner la
chrétienté, mais d’un produit fort inférieur.
Les documents sur papyrus sont généralement des pièces
de très grande dimension et beaucoup plus longues que larges. La longeur
de la bulle de Jean VIII pour Tournus citée plus haut est de 3
mètres 90; celle d’un privilège de Benoît III pour Corbie
atteint 6 mètres 50. La largeur était toujours beaucoup moindre
: elle variait entre 30 et 75 centimètres.
Les termes employés pendant le haut moyen âge pour désigner
le papyrus étaient charta, tomus, chartarum
tomi, tomus chartaceus, chartinacius, etc.; mais,
lorsque l’usage de ce produit fut complètement tombé en
désuétude, on en méconnut absolument l’origine et on
lui appliqua des désignations plus ou moins propres.
Celle de papier d’écorce, que l’on rencontre souvent, mérite
une observation spéciale parce que, sur la foi de ces mentions, et
surtout d’un passage de Tritheim (mort en 1516), les érudits ont longtemps
cru à la réalité de documents écrits sur un papier
fabriqué avec de l’écorce d’arbre. Il n’est pas inutile de
rappeler que ce papier n’a jamais existé et que, vérification
faite, les documents désignés comme étant en un
prétendu papier d’écorce se sont trouvés en papyrus.
Le parchemin.
Ce n’est pas avant la seconde moitié du VIIe siècle que l’on
voit le parchemin employé pour écrire les actes.
En France, le plus ancien document sur parchemin qui se soit conservé
est la fondation, par Chlotilde, du monastère de Bruyère, en
670 ou 671 (Archives nationales, K 2, n° 10); le plus ancien acte royal
est une acte royal est un précepte de Thierry III de 677 (Archives
nationales, K 2, n° 12).
Dans les pays germaniques, on n’a pas signalé d’acte original sur
parchemin antérieur au second quart du VIIIe siècle. En Italie,
on connaît un acte notarié sur parchemin écrit à
Plaisance en 716; les plus anciennes pièces sur parchemin des archives
de Turin et de Florence sont d’une dizaine d’années postérieures.
A partir de cette époque le parchemin tendit à remplacer partout
le papyrus, dont l’emploi fut exceptionnel depuis le milieu du VIIIe
siècle, sauf à la chancellerie pontificale. Depuis le IXe
siècle et pendant tout le moyen âge la presque totalité
des chartes fut écrit sur parchemin.
Entre les diverses espèces de parchemin dont on s’est servi pour
écrire les chartes, il y a, suivant les pays et suivant les époques,
des différences notables. Dans le nord de la France, en Angleterre
et dans les pays germaniques, on se servait presque aussi souvent de peaux
de veau que de peaux de mouton pour fabriquer le parchemin. Au midi de la
France et en générale dans toute l’Europe méridionale,
on employait de préférence les peaux de mouton et fréquemment
aussi les peaux de chèvres.
Souvent et spécialement en Italie, on a traité de manière
différentes les deux côtés du parchemin destiné
à écrire les chartes. Le côté de la chair seul
subissait toutes les préparations nécessaires pour recevoir
l’écriture, seul il était saupoudré de « groison
», c’est-à-dire d’une fine poudre crayeuse, puis soigneusement
poncé et lissé, ce qui lui a donné une couleur blanche
et un poli luisant; le côté de la laine ou du poil est demeuré
au contraire d’une nuance jaune ou grisâtre, un peu rugueux au toucher,
et l’on y discerne facilement à l’oeil les traces de bulbes pileux.
Dans certains parchemins mal préparés, principalement au XIVe
et au XVe siècle, le groison en excès a formé une sorte
de couche dont certaines parties, celles surtout qui ont été
recouvertes par l’encre, tendent souvent à se détacher sous
l’action de l’humidité. Beaucoup de parchemins du XVIe et du XVIIe
siècle, ont subi insuffisamment l’action du plein de chaux et sont
restés gras et transparents. Il est bien difficile cependant de
s’appuyer sur ces différences de fabrication pour dater le parchemin
ou en déterminer la provenance.
On a employé au moyen âge pour écrire les chartes des
feuilles de parchemin de toutes dimensions. Ces documents de grande étendue
sont écrits sur des peaux presque entières, auxquelles on n’a
rogné que le nécessaire pour en faire des feuilles
régulières. La charte de coutumes de Condom, de 1314, est
écrite sur une feuille de parchemin de 75 centimètres de hauteur
sur 95 centimètres de largeur. Certaines chartes au contraire mesurent
à peine 3 ou 4 centimètres de largeur sur 8 ou 10 de largeur.
Lorsqu’une feuille de parchemin était insuffisante, on en ajoutait
une seconde, que l’on cousait à l’extrémité de la
première, et, si cela ne suffisait pas, on en ajoutait de même
à la suite autant d’autres que cela était nécessaire,
de façon à former un rouleau (rotulus). Certains de
ces rouleaux comprennent jusqu’à trente-cinq ou quarante peaux de
parchemin et mesurent 10 ou 15 mètres de long. Ce sont
généralement des documents judiciaires ou financiers,
procédures, enquêtes, comptes, tarifs, etc. Le procès-verbal
original de l’interrogatoire des Templiers par un inquisiteur de la foi,
en novembre 1307, forme un rouleau de quarante-cinq peaux de parchemin de
22 mètres 20 de long.
La disposition de feuilles en cahier était très anciennement
usité pour les manuscrits; on s’en servait aussi pour les cartulaires
et pour les registres, mais ce n’est pas avant le XVe siècle qu’on
a écrit des documents originaux sur des feuilles disposées
de la sorte.
En générale, les chancelleries bien organisées employaient
de larges feuilles de beau parchemin, choisies soigneusement sans trous ni
défauts, et parfaitement dressées.
Dans le nord de la France, les chancelleries inférieures, les officiaux
et tous les bureaux d’écriture se montrèrent naturellement,
pour tous les actes non solennels, fort ménagers d’une manière
aussi coûteuse et employèrent des feuilles de dimensions aussi
réduites que possible, mais en générale bien
préparées et toujours régulièrement taillées;
dans le midi au contraire on se servait volontiers, jusqu’au XIIIe siècle
surtout, de toute espèce de rognures et de morceaux, souvent
irréguliers, où l’on trouve fréquemment des trous et
d’autres défauts.
En Italie et dans l’Empire, on dut interdire aux notaires l’emploi du parchemin
qui avait déjà servi .
Le parchemin était désigné dans les textes du moyen
âge par les mots membrana, pergamenum, carta
pergamena.
Le papier.
Le papier fait son apparition en Europe à la fin du XIe siècle,
mais, pour les documents diplomatiques, l’usage en a toujours été
assez restreint.
On sait qu’il n’y a pas lieu de faire la distinction admise autrefois entre
le papier de chiffre et un prétendu papier de coton. Il n’a jamais
existé de papier de coton. En préparant, en collaboration avec
M Aimé Girard, professeur de chimie au conservatoire des Arts et
Métiers, un recueil des traités de technologie du moyen âge
qui sera prochainement publié, nous fûmes amenés, mon
collaborateur et moi, il y a une dizaine d’années, à étudier
la question de la fabrication des anciens papiers. Pour interpréter
notamment un passage du moine Théophile (Schedula diversarum
artium, I, XXIII), où il est question de
pergamena greca que fit ex lana ligni (ou lini, selon les
manuscrits), nous nous demandâmes s’il s’agissait bien là de
coton, comme on l’avait dit, et s’il avait réellement existé
au moyen âge un papier composé de coton. Après avoir
recueilli des échantillons de papiers anciens, de provenance tant
orientale qu’européenne, considérés jusque-là
comme papier de coton avérés, nous avons vainement recherché,
par l’analyse microscopique, la fibre si caractéristique du coton;
toujours nous n’avons rencontré que celle du chanvre ou du lin. Nous
avons eu depuis la satisfaction de voir les résultats de nos recherches
corroborés par les études de M. Briquet de Genève et
plus complètement encore par les travaux de M. Julius Wiesner, professeur
de physiologie botanique à l’université de Vienne, sur les
papiers orientaux de la collection de l’archiduc Rainier, provenant
d’El-Fayûm...
On cite ordinairement comme les plus anciens documents occidentaux sur papier
des actes des rois de Sicile du XIIe siècle, Roger II, Guillaume Ier
et Guillaume II. Toutefois le papier ne se propagea que lentement en Europe
au XIIe siècle, et son emploi demeura limité aux pays en relation
avec les Arabes.
Au commencement du XIIIe siècle, la chancellerie de Frédéric
II expédia sur papier quelques mandements de l’empereur, mais
bientôt la fragilité et le peu de durée de ce produit,
facilement altéré par l’humidité, en fit proscrire
l’emploi pour la rédaction des actes dont on voulait assurer la
conservation (on sait que beaucoup des anciens documents sur papier qui se
sont conservés sont presque illisibles et souvent presque réduits
en pâte. Dès 1222, Frédéric II renouvelait des
actes sur papier de Guillaume II de Sicile, datés de 1168, 1170, 1187,
quoniam incipiebant vetustate consumi).
Frédéric II, en 1231, en défendit l’emploi pour les
actes publics, et Alphonse le Savant, en Espagne, distingua avec soin les
écritures que l’on pouvait faire sur papier de celles que l’on devait
faire sur parchemin (Constitutiones regni Siciliae, tit. 63 : «
Volumus etiam et sancimus ut predicta instrumenta publica et alie similes
cautiones non nisi in pergamenis in posterum conscribantur. Cum enim eorum
fides multis futuris temporibus duratura speretur, justum esse decernimus
ut ex vetustate forsitam destructionis periculo non succumbant. Ex instrumentis
in chartis papyri... scriptis... nulla omnino probatio
assumatur »).
L’interdiction de rédiger les actes sur papier devint une clause des
brevets de nomination des notaires impériaux et fut même
insérée dans les privilèges qui conféraient aux
comtes le droit de créer des notaires; ceux-ci, au XIVe et au XVe
siècle encore, devaient prêter serment en entrant en charge
de se conformer à cette défense (« Jubemus autem quod
in carta rasa vel bonbicina non scribat publicum instrumentum »).
Au cours du XIIIe siècle cependant, lorsque des fabriques de papier
eurent été établies en Italie, en Espagne et dans la
France méridionale, ce nouveau produit, devenu beaucoup moins cher
que le parchemin, se vulgarisa rapidement. On ne l’employa ni pour les actes
solennels, ni pour aucun de ceux qui devaient supporter des sceaux pendants,
mais on s’en servit couramment pour les lettres missives, les lettres closes,
les mandements, les cédules, les pièces financières,
les actes de procédure, les minutes, et surtout pour les rouleaux
et les registres de toutes sortes, registres de notaires, de comptes, de
chancellerie, etc.
Parmi les documents sur papier du XIIIe siècle on peut citer le
Liber plegiorum de Venise, dont les premières mentions remontent
à 1223, les registres de délibération du conseil
général de Sienne depuis 1248, de nombreux registres de notaires
italiens, les registres judiciaires du podestat de Bologne, les lettres
adressées de Castille à Édouard Ier roi d’Angleterre
depuis l’année 1279.
En France on connaît de nombreux registres et actes des notaires
marseillais depuis 1248; le registre de reconnaissance du Briançonnais
de 1260, aux archives de l’Isère; le registre des comptes d’Alphonse
de Poitiers (1243-1248); le registre des enquêteurs royaux dans la
sénéchaussée de Beaucaire (1248); le registre des sentences
des commissaires royaux dans le Toulousain (1272-1274); etc.
Tous ces documents, on le voit, proviennent de la France méridionale.
Ce fut au XIVe siècle seulement que le papier se répandit dans
les provinces du nord. Mais depuis cette époque ses progrès
furent constants et ils devinrent très rapides au XVe siècle.
Toutefois les actes publics continuèrent longtemps encore à
être écrits sur parchemin, et ce ne fut guère qu’au XVIIe
et après l’invention du papier timbré (1655) que l’on cessa
de s’en servir pour certains d’entre eux. L’emploi du parchemin pour
l’original des actes du pouvoir exécutif ne fut aboli que par un
décret du 10 octobre 1792.
Si l’histoire de la fabrication du papier pouvait être faite avec assez
de précisions pour permettre de discerner avec quelque certitude la
provenance et la date des papiers anciens, l’érudition disposerait
d’un précieux instrument de critique. Mais il est à craindre
que, pour l’époque ancienne du moins, on n’arrive jamais à
rassembler des renseignements suffisants. Force est donc de se contenter
de notions générales et quelque peu incertaines.
Le papier le plus ancien est généralement assez épais,
brillant, satiné ou du moins lissé, mou, sans grain, souvent
nuageux par transparence et spongieux, lorsqu’il a été, ce
qui arrive souvent, altéré par l’humidité. Fréquemment
il s’en détache, principalement sur les bords, des espèces
de flocons plucheux, auxquels il a dû longtemps le nom de papier de
coton. Les formes sur lesquelles ces papiers devaient être
préparés n’y ont souvent laissé aucune empreinte; parfois
cependant on y trouve, marqués plus ou moins nettement, des vergeures
et des pontuseaux.
Dans les dernières années du XIIIe siècle apparaissent
les filigranes, qui sont des marques de fabrique, et, à partir
du XIVe siècle, la grande majorité des papier en est pourvue.
Ces marques peuvent avoir, on le comprend, une grande importance pour la
critique du document sur papier, et l’on en a commencé l’étude
scientifique ("Etudes sur les filigranes des papiers employés en
France aux XIVe et XVe siècles", de Midoux et Matton, Paris, 1868).
Il est bon de remarquer toutefois que les recherches fondées sur les
filigranes sont toujours délicates; il est rarement possible de fixer
avec précision la date d’apparition d’une marque déterminée;
les marques renommées ont duré très longtemps et ont
été souvent contrefaite; enfin l’industrie et le commerce du
papier se sont développés si rapidement à partir du
XIVe siècle que les produits d’une même fabrique se sont
répandus dans l’Europe entière, et que d’autre part on rencontre
dans une seule localité des produits d’une multitude de fabrique
différentes.
Les expressions usitées dans les textes du moyen âge pour
désigner le papier furent celles-là mêmes qui avaient
servi auparavant à désigner le papyrus, dont l’usage était
tombé en désuétude : on l’appellera charta
et plus souvent papirus, charta papiri, parfois aussi
charta bambacis, banbagina, bonbycina. On a cru
longtemps que ces derniers termes indiquaient la substance même qui
composait le papier, ou bien qu’ils se rapportaient à son apparence
extérieure, cotonneuse ou soyeuse; mais il vaut mieux admettre
qu’ils furent à l’origine une indication de provenance; de même
qu’on désignait un certain produit sous le nom de "papier de Damas"
(charta Damascena), l’expression charta Bambacis devait,
semble-t-il, désigner une autre localité de Syrie, Bambyce,
à trois journées d’Alep, ville prospère jusqu’au XIVe
siècle et qui fabriquait aussi du papier.
Le papyrus, le parchemin et le papier ont été en somme les
trois seules matières sur lesquelles on a écrit des chartes
pendant le moyen âge. Il est vrai qu’on a cité et qu’il existe
encore des actes gravés sur pierre et sur métal, et que l’on
a imaginé abusivement de dénommer "chartes lapidaire" une
catégorie de documents. Mais, en réalité, les inscriptions
de cette espèce ne sont que des copies, souvent abrégées,
dont les originaux étaient écrits sur parchemin.
Il n’en est pas moins certain que ces textes sont intéressants à
recueillir, surtout lorsque les originaux ne se retrouvent plus. Les monuments
de ce genre paraissent avoir été assez nombreux en Italie;
on connaît plusieurs bulles des papes Serge Ier, Léon IV,
Grégoire VII, gravées sur métal ou sur pierre. On peut
encore citer, comme particulièrement curieuse, l’inscription du serment
prêté en 1131 par les chevaliers et consuls de Nepi, encastrée
dans le mur de la cathédrale de cette ville. En France, c’est dans
le Midi et spécialement en Dauphiné que l’on a signalé
la plupart des inscriptions qui reproduisent des chartes. A côté
de celles qui sont indiquées dans le mémoire de M. Deloye,
on peut citer la charte de franchise d’Etoile (Drôme), de 1244,
gravée sur une table de marbre encastrée au-dessus de la porte
latérale de l’église d’Etoile. Ces monuments sont relativement
rares au nord de la Loire, aussi signalerons-nous la charte de Simon de Montfort
pour la ville de Saint-Arnoult (1201-1202), qui présente cette
particularité que le graveur y a figuré un sceau (l'inscription
n'est que du XVIe siècle et le document probablement faux). On rencontre
en Allemagne des inscriptions analogues : la plus célèbre est
la reproduction des privilèges concédés à Mayence
en 1135, gravée sur les portes de bronze de la cathédrale.
On sait que l’usage d’écrire sur des tablettes de bois ou d’ivoire
enduite de cire a été répandu pendant tout le moyen
âge et s’est perpétué presque jusqu’à nos jours.
L’école des Chartes possède une tablette de cire qui servait
il y a moins de quarante ans à la poissonnerie de Rouen; elle est
tout à fait semblable aux tablettes du moyen âge qui nous sont
parvenues et accompagnée de son "style" de métal, pointu d’un
côté, aplati de l’autre pour permettre d’effacer
l’écriture. Mais naturellement on n’a jamais écrit sur la cire
des actes dont on voulait assurer la durée.
On employait les tablettes pour apprendre à écrire et prendre
des notes; on y écrivait des minutes ou même des lettres (Wibald
de Stavelot écrit, en 1148, au pape Eugène III : "Quae
vero post exitum nostrum acta sint, ex litteris quas quidam frater Fuldensis
nobis, non in membrana scriptas est in tabella, transmisit, cognoscere
poteritis"). Un auteur du Xe siècle reproduit un testament
écrit au IXe sur des tablettes de cire . Mais on s’en est servi surtout
pour écrire des comptes; ce sont des comptes qui renferment la plupart
des tablettes du moyen âge qui nous sont parvenues. Les plus
célèbres sont les quatorze tablettes conservées au
Trésor des chartes qui contiennent les comtes de recettes et de
dépenses, en 1256 et 1257, de Jean Sarrasin, chambellan de Louis IX
(publiées dans le tome XXI du "Recueil des historiens de la
France"); d’autres tablettes conservées à la Bibliothèque
Nationale, à Genève et à Florence, contiennent des comptes
analogues de Pierre de Condé et de Jean de Saint-Just pour les
règnes de Philippe III et de Philippe IV (publiées dans le
tome XXII du susdit "Recueil..."). On doit citer aussi les tablettes
de cire des archives municipales de Senlis, contenant la minute des comptes
faits à l’occasion d’une enquête sur la gestion financière
des magistrats municipaux en 1319, et des tablettes de cire de l’abbaye de
Citeaux contenant des comptes du commencement du XIVe siècle .
Encres; initiales ornées.
L’encre noire a été employé à peu près
seule pour écrire les documents diplomatiques.
De nombreuses recettes, dont quelques-unes remonte à
l’antiquité, nous renseigne sur la composition des encres qui ont
été en usage pendant le moyen âge. La plupart avait pour
base la noix de galle et le vitriol (sulfate de fer ou de cuivre), auxquels
s’ajoutait de l’eau, additionnée de gomme et souvent de vin ou de
vinaigre. L’excès d’acidité de sulfate de fer a souvent donné
à l’encre une teinte rousse ou jaunâtre; le sulfate de cuivre
lui donnait du brillant, mais parfois la faisait tourner au vert. La teinte
rousse ou jaunâtre s’observe fréquemment dans les documents
antérieurs au XIe siècle; du XIe à la fin du XIIIe,
l’encre a été particulièrement noire et brillante, celle
des documents postérieurs a ordinairement pâli. Ces caractères
généraux sont du reste trop incertains pour que la critique
en puisse tirer parti; en cas d’addition postérieures, de surcharge
ou d’interpolations, les différences dans la teinte des encres les
signalent aussi sûrement que les caractères de
l’écriture.
Souvent, par suite de la mauvaise qualité de l’encre, sous l’action
du temps, de la lumière ou du frottement, l’écriture a presque
disparu. Pour le faire revivre on a fréquemment employé des
procédés qui ont laissé sur les documents de larges
traces brunes ou bleuâtres et rendu les textes encore moins lisibles
qu’ils n’étaient auparavant.
Il n’existe qu’un seul moyen de faire revivre les anciennes écritures
sans altérer les manuscrits : il consiste à étendre
à l’aide d’un pinceau sur la partie du texte qui est effacée
une couche légère de sulfhydrate d’ammoniaque concentré.
Ce procédé a l’inconvénient de ne faire reparaître
l’écriture que pour quelques instants, mais c’est à peine
s’il laisse sur le parchemin ou sur le papier une légère trace
brillante (il va de soit que aujourd'hui, nous ne pouvons plus utiliser cette
technique. On préfèrera de beaucoup l'utilisation des rayons
ultraviolets avec une lampe de Wood).
A l’imitation des empereurs d’Orient, quelques souverains de l’Italie et
de l’Allemagne firent expédier certains diplômes
particulièrement solennels en lettres d’or, tracées parfois
sur du parchemin teint en pourpre. Le plus célèbre de ces documents
est le privilège accordé, le 13 février 952, par
l’empereur Otton Ier à l’église romaine. Il faut observer toutefois
que l’exemplaire écrit en or sur parchemin pourpre, conservé
aux archives du Vatican, n’est qu’une copie contemporaine non dépourvue
d’un certain caractère officiel.
En Italie, l’usage de la chrysographie ne fut pas restreint aux diplômes
des souverains ; M. Paoli a signalé deux actes privés, l’un
de Salerne (1015), l’autre d’Arezzo (1114), où certains mots et quelques
formules ont été écrits à l’encre d’or. Il ne
semble pas qu’aucune chancellerie française ait jamais fait usage
d’encre métallique, sinon dans quelques lettres ornées dont
il sera question plus loin. La dernière mention qu’on possède
d’un document écrit en lettres d’or est relative à la copie
d’un privilège de Frédéric II et se trouve dans un
diplôme du même empereur en date du 24 février 1219.
L’encre rouge, d’un usage si fréquent dans les manuscrits du moyen
âge, n’a été que très exceptionnellement
employée dans les documents diplomatiques. On sait que les empereurs
byzantins souscrivaient leurs diplômes au cinabre. Un de leurs actes,
conservé dans les archives de Saint-Denis, au bas duquel se lit le
mot legimus, tracé en grands caractères rouges (Archives
nationales K 7, n° 17 3),
paraît avoir servi de modèle à la chancellerie de Charles
le Chauve dont plusieurs diplômes reproduisent, également à
l’encre rouge, cette souscription. Vers le même temps les princes de
Capoue, de Bénévent et de Salerne traçaient à
l’encre rouge le monogramme qui se trouve au bas de leurs diplômes.
On observe le même fait dans un diplôme du roi de France, Louis
VI le Gros, de 1127, où la première ligne et les lettres initiales
de chaque phrase ont été, comme le monogramme, tracées
à l’encre rouge (Archives nationales K 22, n° 5).
Si, dans les diplômes et les chartes, l’emploi de l’encre rouge a toujours
été exceptionnel, elle a été par contre d’un
usage fréquent dans les cartulaires et d’une manière plus
générale dans les registres et les rouleaux, où l’on
s’en servait pour les titres, qui en on retenu le nom caractéristique
de rubriques.
Les grandes initiales peintes, ornées et historiées, ont toujours
été des exceptions dans les documents diplomatiques. On pourrait
les croire plus fréquentes, d’après le nombre des documents
ainsi ornés que l’on rencontre dans les vitrines des dépôts
publics ou dans les recueils de fac-similés, si l’on ne savait qu’on
est toujours complu assez naturellement à rechercher ces curiosités
pour les exposer ou les reproduire. Les exemples que l’on peut citer se
rapportent généralement à des actes d’une solennité
ou d’une importance particulières, et ce sont parfois, non pas les
originaux même, mais des copies que le possesseur de l’acte a fait
exécuter avec luxe, plus ou moins longtemps après la date de
l’original. De ce nombre est par exemple une copie, accompagnée de
miniatures, exécutée en 1293, de la charte confirmative de
biens, concédée en 968, à l’abbaye de Sainte-Glossinde
par l’évêque de Metz .
Dans les documents originaux, ce n’est pas avant le XIe siècle que
l’on rencontre parfois quelques ornements; encore ne portent-ils guère
que sur la lettre de l’acte, tracée en capitale, en onciale ou en
écriture de fantaisie et accompagnée de quelques rinceaux.
Tel est le C initial d’une charte d’Imbert, évêque de Paris,
de 1045 (Archives nationales K 19, n° 2 6).
Au XIIe siècle, quelques copistes de manuscrits, auxquels il arrivait
d’écrire des chartes, y apportaient leurs habitudes de calligraphie
et y plaçaient des initiales ornées et peintes. C’est le cas
d’une charte de l’église de Laon de 1186 (Archives nationales L 731).
Ces enjolivement sont un peu plus fréquent au siècle suivant,
et il n’est pas très rare de rencontrer des chartes du XIIIe siècle
dont la lettre initiale est ornée d’une vignette. L’ornementation
de la première lettre ou même de la première ligne des
chartes devint bientôt presque une mode pour certaines catégories
de documents.
A coté de grandes initiales pleines, ajourées ou brodées,
ornées de rinceaux, peintes et dorées, analogues à celles
des manuscrits du même temps, on en trouve d’autres où les ornements
à la plume, à peine rehaussés de touches légères
de couleur, sont d’une fantaisie bizarre et charmante et d’une grande
variété; ce sont des têtes grimaçantes, des animaux
fantastiques, des monstres de toutes sorte, parfois des figures
élégantes et gracieuses, ou de petites scènes de la
vie réelle, qui prennent place dans les grandes lettres par lesquelles
commencent les chartes.
Les actes les plus sérieux, ceux même de la chancellerie royale,
reçoivent parfois de la fantaisie et de l’imagination des calligraphes
une décoration de ce genre. L’un des plus ancien exemple que l’on
puisse citer est une charte du roi Philippe le Hardi de 1283, dont les lettres
Ph. (abréviation de Phillipus) sont ornées de figures
grotesques et surmontées d’un rat (Archives nationales K 33, n°
8). Mais ce sont surtout les actes des princes du XIVe siècle, amateurs
de beaux livres, Philippe VI, Charles V, Charles VI, Louis de Bourbon, Jean
de Berry, qui présentent en ce genre un véritable luxe de vignettes
et d’ornements.
Toute une catégorie d’acte, les promesses de prières faites
aux princes par les églises, en reconnaissance de fondations, ont
reçu ainsi une ornementation calligraphique historiée, souvent
d’une grande finesse et d’une grande élégance
d’exécution. On peut citer à titre d’exemple des chartes de
ce genre du chapitre de Rouen (1366 - Archives nationales J 463 n° 53),
de celui de Noyon (1368 - Archives nationales J 465 n° 36), du chapitre
général des Chartreux (1368 - Archives nationales J 465 n°
32), des cordeliers de Paris (1370 - Archives nationales J 465 n° 40),
de l’abbaye de Royaumont (1374 - Archives nationales J 461 n° 48), de
l’abbaye de Chaalis (1378 - Archives nationales J 466 n° 52), de la
Sainte-Chapelle (1386 - Archives nationales J 187 n° 15).
Une autre espèce de documents, les actes d’aveu et d’hommage, commence
assez souvent aussi, particulièrement au XVe siècle, par une
lettre historiée, représentant le vassal aux pieds de son suzerain,
mais celle-ci communément exécutée dans le goût
des miniatures de manuscrits et généralement sans grand
intérêt artistique. Il est probable que les enlumineurs
exécutèrent couramment à cette époque des feuilles
de parchemin ainsi ornées, comme on a vendu plus tard du papier
décoré d’attributs.
A partir du XIVe siècle, des armoiries figurent parfois, soit comme
motif principal, soit comme accessoire, dans l’ornementation des initiales.
Cette ornementation devient depuis la fin du XVe siècle plus rare
encore qu’auparavant et en quelques sorte purement calligraphique : ce ne
sont plus que des paraphes hardis, formés de pleins et de
déliés, combinés et enchevêtrés pour former
des entrelacs, des rinceaux ou d’autres motifs. La première ligne
des bulles pontificales notamment a parfois reçu une décoration
de ce genre. Tout à fait exceptionnellement on retrouve au XVIIe
siècle des majuscules à rinceaux dorés et coloriés
.
Les ornements sont plus fréquents dans les cartulaires et dans les
registres que dans les chartes originales. Ils se rapprochent davantage de
l’exécution des livres et il est moins rare d’y rencontrer des initiales
ornés, des encadrements et même des miniatures indépendantes.
On se bornera à signaler ici, à titre d’exemples, la
représentation d’un aveu rendu au procureur du roi de Majorque, en
tête d’une page d’un registre d’aveu ou capbreu de Saint-Laurent
de la Salanque, écrit dans les dernières années du XIIIe
siècle, et le registre JJ 5 du Trésor des chartes qui renferme
la copie exécutée en 1309, des négociations de Philippe
III et de Philippe IV avec l’Angleterre, Lyon, la Flandre et
l’Écosse. Ce volume est remarquable par ses encadrements et ses initiales;
l’une d’elles représente les bourgeois de Lyon remettant à
l’envoyé du roi de France Philippe le Hardi l’acte par lequel ils
se placent sous sa protection.
L’écriture
Les documents diplomatiques originaux ont toujours étaient écrits
à longues lignes, sans alinéas ni interlignes, d’un seul
côté du parchemin ou du papier. Cette règle
générale ne comporte qu’un petit nombre d’exceptions.
Quelques rares documents d’une teneur particulièrement longue ont
été disposés sur deux colonnes, comme par exemple un
vidimus de 1273 de la charte des coutumes de Montferrand.
Les alinéas ou l’inégal espacement des lignes sont plus rares
encore. Dans les chartes anciennes, les souscriptions et la date se
détachent seules de la teneur; elles y sont presque toujours réunies
depuis le XIIe siècle. Au XIe siècle cependant, époque
ou l’on méconnaissait volontiers toutes les règles, on rencontre
quelques actes originaux divisés par des alinéas. Mais, en
dehors de ces exceptions, si long que soit le document, si multipliées
qu’en soient les dispositions, elles se suivent sans intervalle du commencement
à la fin.
La ponctuation, qui ne comporte guère que deux signes : le point pour
la fin des phrases, et le point surmonté d’une virgule retournée
pour la ponctuation faible, y est fort irrégulièrement
marquée; parfois seulement des lettres majuscules, auxquelles le scribe
a donné plus d’importance qu’à d’autres, marquent le commencement
des périodes ou de ce que nous pourrions appeler des paragraphes.
Quelquefois aussi, dans certains documents, quelques noms propres, écrits
en capitales, en onciales ou en lettres espacées, se détachent
de l’écriture uniforme du texte.
La règle de n’écrire la teneur d’un document original que
d’un seul côté de la feuille, du côté de la chair
lorsqu’il s’agissait de parchemin, paraît avoir été absolue
au moyen âge. Les prétendues chartes opistographes que l’on
a signalées se sont trouvées, vérification faite,
n’être que des copies. C’est tout au plus si l’on a pu citer un document
du VIIIe siècle, dans lequel le défaut de place au recto a
fait ajouter au verso quelques-unes des souscription. Cet usage
d’écrire sur un seul côté de la feuille remonte certainement
à l’antiquité, au temps ou les actes écrits sur papyrus
devaient former des rouleaux; il s’est maintenu lorsque le parchemin se fut
substitué au papyrus, et lorsque, au lieu de rouler les documents,
on eut pris l’habitude, générale au moyen âge, de les
replier sur eux-mêmes plusieurs fois dans chaque sens, de façon
à former de chaque acte une sorte de paquet aussi petit que possible.
La partie visible du verso de la pièce ainsi pliée recevait
des cotes, des titres ou des analyses. Ces indications, parfois contemporaines
des documents ou de peu postérieures, peuvent être fort utiles
pour en déterminer la provenance.
Depuis le XVe siècle, on écrivit au recto et au verso les actes
d’une longueur exceptionnelle, pour lesquels on employa des feuillets de
parchemins disposé en cahier. Il en fut ainsi notamment de certaines
bulles pontificales et de certains actes d’aveu et de dénombrement.
Cet usage s’étendit peu à peu à d’autre actes pendant
les siècles suivants, mais il ne devint jamais général,
et jusqu’à nos jours des actes tels que les diplômes universitaires,
les brevets, les commissions, les passeports, etc., ont conservé la
tradition et ne sont écrits que d’un seul côté de la
feuille.
Dans les documents sur papyrus et dans les plus anciens documents sur parchemin
on ne voit aucun vestige de réglure. Mais depuis le commencement du
IXe siècle, les parchemins sur lesquels on devait écrire des
chartes portent fréquemment la marque des lignes parallèles,
tracées avec un style à pointe mousse, pour servir de guide
au scribe. Tantôt ces lignes étaient tracées sur la face
du parchemin destinée à recevoir l’écriture et tantôt
au verso; dans ce cas le scribe se guidait sur la saillie produite au recto
par cette réglure.
L’usage de régler le parchemin à la pointe sèche dura
jusqu’à la fin du XIe siècle, mais il ne fut jamais
général; faute de cette précaution, dans nombre de
documents, les lignes d’écriture ne sont ni droites, ni également
espacées, ni parallèles. A la fin du XIe siècle
apparaît la réglure au crayon. Pour exécuter cette
réglure, souvent le scribe indiquait préalablement par des
points, marqués probablement à la pointe du compas, le commencement
et la fin de chaque ligne : Puncti punctantur, sequitur quos linea plumbi,
consilio quorum linea tendit iter ("De natura animalium",
poème de Conrad de Mure).
Fréquemment ces points demeurent le seul vestige de la réglure,
soigneusement effacée suivant le précepte du même auteur:
"Si linee cum ligniculo vel alias fiunt pro ipsius scribentis ductu,
non debent apparere".
Parfois aussi depuis le XIIe siècle, la réglure a été
faite en traçant des lignes légère à l’encre,
et quelquefois, mais rarement, à l’encre rouge. Dans les actes
soignés, on s’appliquait à ne tracer de lignes qu’aux endroits
destinés à recevoir l’écriture, et presque toujours
on en ménageait les marges.
La réglure peut servir d’élément utile à la critique
diplomatique, mais à la condition de multiplier les observation sur
les documents émanés d’une même chancellerie. On ne l’a
guère fait jusqu’ici que pour les actes des monarques carolingiens,
des souverains de la Germanie et des papes antérieurs au XIIIe
siècle.
Lorsqu’un acte était aboli ou annulé, ou simplement lorsqu’il
était devenu inutile, on en barrait la teneur à l’encre par
de grands traits qui se croisaient en X, ou encore on le lacérait
de la même manière au canif. C’est là un procédé
qui remonte à l’antiquité et qu’on exprimait par le mot
cancellare, parce que l’écrit ainsi effacé était
recouvert comme d’une espèce de treillis. La chose et le mot se sont
conservés au moyen âge. C’est ainsi qu’on eut souvent soin,
à partir du XIIIe siècle, de spécifier dans les vidimus
que l’acte vidimé n’était pas cancellé. Les documents
cancellés sont assez communs dans les dépôts
d’archives, encore faut-il observer que la cancellation n’a pas eu toujours
la même valeur ; les notaires par exemple cancellaient leurs minutes
lorsqu’ils en avaient délivré expédition.
Les corrections, ratures, exponctions, grattages et renvois ne sont pas
très rares dans les originaux des actes authentiques, surtout à
l’époque ancienne. Même à la chancellerie pontificale
on s’est toujours moins soucié de les éviter que d’observer
par exemple certaines règles d’abréviations, et il arrivait
qu’on effaçât un passage où ces règles étaient
mal observées pour le récrire en surcharge; aussi les bulles
apostoliques présentent assez souvent des traces de grattages qui
ne doivent pas les rendre suspectes. Dans les actes dressés par les
notaires, ceux-ci mentionnaient et approuvaient, généralement
dans la formule de souscription, à peu près comme on le fait
encore aujourd’hui, les corrections, ratures et surcharges qui pouvaient
se trouver dans les documents.
Les documents désignés sous le nom de chartes-parties présentent des dispositions particulières. Lorsque, pour une
raison quelconque, on devait expédier un acte en plusieurs originaux,
l’habitude s’établit d’écrire ces divers originaux sur une
même feuille de parchemin et de tracer en gros caractères entre
eux une devise que l’on coupait par le milieu en séparant les exemplaires.
Le rapprochement des originaux pouvait éventuellement justifier leur
authenticité respective. C’est l’origine du système si
répandu aujourd’hui des registres à souche. Il est difficile
de déterminer avec précision l’époque où l’on
a commencé à user de ce procédé. Il existe bien,
et dès l’époque mérovingienne, des mentions nombreuses
d’originaux multiples, de chartes d’une même teneur (chartae paricolae
eodem tenor conscriptae), d’exemplaires remis à chacune des parties
intéressées. Lorsque Richer raconte l’élévation
au siège de Reims de l’archevêque Arnoul en 989, il dit bien
que l’on dressa de ses engagements vis-à-vis du roi de France un
cirographum bipertitum (Historiarum lib IV, 29), mais le
défaut de toute allusion à une devise et l’absence de tout
original ainsi disposé laissent douter qu’on ait alors employé
ce procédé.
Le plus ancien document où j’aie rencontré la trace de cette
disposition est un diplôme sans date du roi de France Henri Ier pour
l’abbaye de Sainte-Geneviève, au bas duquel, dans l’exemplaire qui
nous est parvenu, subsiste la partie inférieure des lettres capitale
d’une devise formée de trois noms : PETRVS. PAULVS. GENOVEFA. De la
même époque environ est un accord entre l’évêque
de Gérone et Roger Ier, comte de Foix, où la devise était
formée des lettres de l’alphabet de A à R, et dont
l’exemplaire que nous possédons n’a conservé que la partie
supérieure.
Les actes auxquels on a donné cette disposition ingénieuse
sont devenus très nombreux dès le commencement du XIIe
siècle, et le nombre s’en est encore accru au XIIIe et XIVe. On a
rédigé de la sorte des actes de toute espèce, des
privilèges, des donations, des chartes de commune, des aveux, etc.,
mais de préférence les actes qui devaient être
nécessairement dressés en autant d’originaux que de parties,
tel que des accords, des conventions, des échanges, etc., et surtout
les contrats dont on voulut garder un original au siège de la juridiction
qui les avait dressés.
La devise à partager fut très souvent le mot
cirographum, soit seul, soit accompagné d’autres mots :
cirographum memoriale, cirographum commune, cirographum
manuscriptum. Le terme qui suivait cirographum spécifiait
parfois la nature de l’acte : cirographum pacis, cirographum
de molendino. Il en résulta que le mot cirographum,
qui à l’origine avait exprimé toute espèce de contrats,
prit peu à peu une acception plus complexe et ne désigna plus
guère que les actes rédigés en plusieurs expéditions
et auxquels il servait de devise commune. C’est en ce sens que l’emploient
beaucoup d’auteurs du moyen âge depuis la fin du XIIe siècle
et qu’on le trouve dans un grand nombre de documents authentique. En Angleterre
on disait de préférence charta cyrographata.
Mais on appelait fréquemment aussi ces actes au moyen âge
chartae partitae ou divisae et en français chartes-parties; c’est cette dernière expression que nous avons
adoptée pour les désigner parce qu’elle est plus exacte et
prête moins à l’équivoque que le mot chirographe.
Le mot cirographum n’était pas du reste, ainsi qu’on l’a
déjà vu, le seul qui fût employé comme devise.
C’était souvent une invocation ou une formule pieuse : In nomine
Domini nostri; Pacem habete inter vos; Pax hominibus bone
voluntatis; des noms de saints, et parfois même un dessin. Mais
la devise la plus fréquente, avec le mot cirographum,
c’était particulièrement dans le midi de la France, la série
des lettres de l’alphabet. D’où le nom de littera per alphabetum
divisa et en provençal carta partida per ABC que l’on
donnait fréquemment à ces actes.
Au lieu de séparer les actes par un trait droit, on a souvent, depuis
le XIIIe siècle, découpé la devise en ligne brisée,
de façon à former une suite de dents. Ce procédé,
employé surtout en Angleterre, y a fait donner aux chartes-parties
le nom de chartae indentatae, indenturae, et en français endentures. On a parfois aussi découpé la devise en
lignes ondulées, d’où le nom de charta undulata que
l’on rencontre parfois, mais il n’a pas eu son équivalent en
français.
Bien que le nombre de ces actes ait beaucoup diminué au cours du XVe
siècle et qu’on ait peu à peu restreint presque exclusivement
l’emploi des chartes-parties aux contrats privés reçus par
les échevinages, là du moins cette forme a persisté
pendant très longtemps. Elle a duré dans le nord de la France
jusqu’à l’époque de la création des notaires royaux
et, dans les provinces qui faisaient partie des Pays-Bas espagnols,
jusqu’à l’époque de la conquête française. En
France même on fit une exception pour le pays de l’Alloeu où
les chartes-parties subsistèrent jusqu’à la fin de l’ancien
régime. Il en fut de même à Tournai, où j’ai vu
moi-même, aux archives municipales, des actes de ce genre dressés
en 1795, l’année même de la réunion à la France.
L’écriture des documents diplomatiques a naturellement subi les même
transformations générales que celles des manuscrits proprement
dits. Toutefois, dans la plupart des documents, elles s’en distingue par
certaines particularités, dont la plus caractéristique est
l’allongement des hastes et des queues de lettres. Comme elle est spéciale
aux diplômes et aux chartes, elle a reçu le nom
d’écriture diplomatique.
Habituellement la première ligne des diplômes et des chartes,
ou parfois une partie de la première ligne, est en caractères
particuliers, différents de ceux du reste de la teneur. On y a
employé communément, depuis l’époque mérovingienne,
une écriture allongée, à jambages grêles, souvent
fort serrée et conséquemment difficile à lire. Tout
en se modifiant avec le temps, l’écriture allongée est restée
en usage, dans certaines chancelleries, jusqu’au XIIIe siècle. Mais,
au XIe et au XIIe, on se servit aussi de capitale, d’onciale ou de
caractères de fantaisie, parfois enchevêtrés ou enlacés
les uns dans les autres. Plus tard, depuis le XIIIe siècle, on employa
simplement des caractères plus gros que ceux de la teneur, et souvent
aussi, même dans des actes écrits en cursive, de gros
caractères gothiques plus ou moins élégants. Ajoutons
que cette règle n’est pas absolue : dans un grand nombre de chartes,
l’écriture de la première ligne est la même que celle
du reste de l’acte.
On trouve encore parfois des écritures différentes de celles
de la teneur au bas de l’acte, dans certaines souscriptions et dans la date,
qui était quelquefois d’une autre main que la teneur. Lorsque les
souscriptions sont autographes, elles présentent naturellement toutes
les variétés possibles d’écritures.
Les écritures cursives et minuscules ont seules été
employées depuis l’antiquité pour les documents diplomatiques.
La capitale et l’onciale ne s’y rencontre pas, sauf toutefois, comme on l’a
vu plus haut, dans la première ligne, dans les souscriptions, dans
les devises des chartes-parties et parfois aussi dans certains noms propres
de la teneur que l’on a voulu mettre particulièrement en relief.
L’ancienne cursive romaine de chancellerie, dont quelques fragments de rescrits
impériaux nous ont conservé des spécimens, a donné
naissance à d’autres écritures diplomatiques qui sont diversement
développées, en France, en Italie et en Espagne, et qui ont
été peu à peu remplacées dans toute la
chrétienté, entre le IXe et le XIIe siècle, par la minuscule
romane, qui procède de la réforme calligraphique accomplie
en France sous Charlemagne, particulièrement dans l’école de
Tours.
Dans les monastères des îles Britanniques, en Irlande d’abord,
puis en Angleterre, s’est formée et développée une
écriture particulière (scriptura scottica), qui, à
la différence des écritures du continent, ne dérive
pas de l’ancienne cursive romaine. Répandue dans toute la
chrétienté par les missionnaires irlandais et anglo-saxons,
elle ne fut pas sans influence sur la réforme calligraphique du IXe
siècle. Sous ses formes onciale et semi-onciale, puis surtout sous
la forme cursive, elle fut employée dans les îles Britanniques
à écrire les actes jusqu’à l’époque de la
conquête normande; elle entra alors en concurrence avec la minuscule
romane importée par les vainqueurs, et fut bientôt
complètement supplantée par elle, sauf toutefois pour les actes
en langue nationale, pour lesquels on continua à l’employer jusqu’au
cours du XIIe siècle.
En Italie on peut suivre les transformations de l’ancienne cursive dans les
documents sur papyrus de Ravenne, de Naples et d’Arezzo, et, pour les
siècles postérieurs, dans les chartes des grandes abbayes du
sud de l’Italie. Cette écriture s’est en effet perpétuée
dans la péninsule, non sans se modifier peu à peu, mais sans
que la tradition en ait de longtemps été interrompue. Par suite
de la rareté et de la cherté du papyrus et plus tard du parchemin,
les caractères en sont devenus plus serrés et plus menus, en
même temps que certaines lettres ont pris des formes particulières
caractéristiques. Dans le nord, l’influence française fit
prévaloir dès le VIIIe siècle la cursive
mérovingienne; et la cursive particulière à l’Italie
fut refoulée dans les provinces méridionales demeurées
soumises à la domination lombarde. De là le nom
d’écriture lombarde qui lui a été donné
par les érudits. Elle y resista longtemps à la minuscule romane,
jusqu’à l’époque où Frédéric II la prohiba
dans la pratique des notaires, où elle était devenue un grimoire
à peu prés indéchiffrable. Cette lombarde
dégénérée, employée par les notaires du
sud de l’Italie, variait de principauté à principauté,
aussi la trouve-t-on nommée, suivant la provenance, littera
beneventana, napolitana, amalfitana,
salernitana, capuana, etc., on lui donne le nom
générique d’écriture curiale.
L’écriture employée dans les bulles apostoliques est une
dérivation particulière de l’écriture lombarde, qui
s’est développée à la chancellerie pontificale sous
diverses influences. Elle subit, à partir du XIe siècle, celle
de la minuscule romane, et bientôt certains scribes de la cour romaine
usèrent de préférence de cette dernière. Cependant,
on retrouve certaines formes caractéristiques de l’écriture
lombarde jusque dans les lettres du pape Pascal II (mort en 1118).
En Espagne, la cursive romaine est devenue, par une série de
transformation, dont les manuscrits des VIIe et VIIIe siècles nous
ont conservé des exemples, l’écriture à laquelle les
savants ont mal à propos attribué le nom de visigothique. On la trouve employée dans les chartes sous la
forme cursive, depuis le milieu du IXe siècle, - l’original le plus
ancien que l’Espagne ait conservé date de 857 de l’ère
chrétienne. Il s’y ajoute, au siècle suivant, une écriture
ronde et posée, toujours exceptionnelle dans les chartes, et une cursive
allongée qui fut surtout employée pour la première ligne
et les souscriptions. La cursive diplomatique visigothique devint peu à
peu moins lisible qu’elle ne l’était d’abord; elle se surchargea
d’abréviations et présenta une grande complication de traits.
Dés le Xe siècle elle entra en lutte avec la minuscule romane.
La Catalogne, placée sous l’influence française, renonça
la première, à cette époque , à
l’écriture visigothique. Au siècle suivant, la letra
francisca, propagée surtout par les moines clunisiens, prit peu
à peu possession de toute la région pyrénéenne
(Aragon et Navarre), aussi bien pour les chartes privées que pour
les actes royaux.
On sait qu’au témoignage de Rodrigue Ximenès (archevêque
de Tolède de 1210 à 1247), la substitution de la minuscule
romane à l’écriture visigothique aurait été
prescrite, en 1079, par une décision d’un synode de Léon,
présidé par l’archevêque de Tolède, Bernard, moine
de Cluny ("...Celebrato concilio cum Bernardo Toletano primate, multa
de officiis ecclesiae statuerunt, et etiam de cetero omnes scriptores, omissa
littera Toletana, quam Gulfilas Gothorum episcopus adinvenit, gallicis litteris
uterentur"). Quoi qu’il en soit de cette décision, elle ne fit
pas disparaître immédiatement l’ancienne écriture. Dans
les chartes de Castille, de Léon et des Asturies, la « lettre
française » fait son apparition sous le règne d’Urraque
(1109-1126), les deux écritures sont employées concurremment;
l’écriture française domine dans les documents de Castille
et de Léon, la visigothique dans ceux de Galice. Avec Alphonse VII
(1126-1157) l’écriture nouvelle prédomine dans les actes royaux.
Dans les actes privés, où elle a commencé à
être employée après 1115, elle se propage assez rapidement,
sauf en Galice, où il n’est pas rare de rencontrer des chartes en
écriture visigothique jusqu’à l’extrême fin du XIIe
siècle.
L’écriture usitée en France et dont les plus anciens
spécimens connus remontent au VIe siècle, fut elle aussi une
transformation de l’ancienne écriture romaine de chancellerie. Sous
sa forme cursive elle a été employée, pendant la
période mérovingienne, à écrire les actes
authentiques (Presque tous les originaux qui se sont conservés sont
aujourd’hui aux Archives nationales. Ils ont été reproduits
en fac-similés dans les Diplomata et chartae Merovingical aetatis
in Archivo Franciae asservata).
On lui donne communément le nom de cursive mérovingienne parce que la plupart des documents où on la rencontre sont des
diplômes royaux. C’est une écriture dont les caractères
sont très serrés et chevauchent même parfois les uns
sur les autres; ils sont de plus surchargés de ligatures compliquées
et de traits parasites. Elle a persisté, sans grandes modifications,
jusque sous Charlemagne, époque où son développement
fut brusquement interrompu par une réforme calligraphique, qui substitua
à la cursive une autre forme d’écriture, dont les caractères
sont indépendants les uns des autres, de formes plus arrêtées
et de contours plus arrondis.
Cette nouvelle écriture est la minuscule carolingienne ou caroline, qui, devenue célèbre sous le nom
d’écriture française, devait se répandre dans le monde
entier, au moyen âge d’abord, en remplaçant du Xe au XIIe
siècle dans toute la chrétienté les écritures
nationales, et une seconde fois à la Renaissance, en se substituant
aux formes gothiques, sous l’influence des humanistes, pour devenir
l’écriture dite humanistique et plus tard le caractère
romain de la typographie d’où dérive celui qui est encore en
usage.
Ce n’est point ici le lieu d’exposer comment et sous quelles influences
s’est opérée sous Charlemagne la réforme calligraphique.
L’écriture diplomatique n’en ressentit les effets qu’à partir
du règne de Louis le Pieux.
La minuscule qui fut employée depuis lors dans les diplômes
et les chartes peut être désignée, jusqu’à la
fin de la dynastie carolingienne, sous le nom de minuscule romane.
Elle ne cessa jusqu’au XIIe siècle de se perfectionner en acquérant
plus de régularité. Chaque caractère y a sa forme
déterminée et est indépendante des autres; les traits
en sont droits et nettement arrêtés; les abréviations
sont fixes et employées avec mesure. C’est sous cette forme que la
minuscule romane s’est propagée, comme on l’a dit plus haut, dans
toute l’Europe.
Dans chacun des pays qui l’ont adoptées elle a continué ensuite
à se transformer peu à peu, et naturellement les modifications
qu’elle a subies n’ont point été partout uniformes. Dans
l’écriture des différentes contrées de l’Europe depuis
le XIIe siècle, on peut constater des divergences locales qui vont
s’accentuant avec le temps. Bien plus, dans un même pays,
l’écriture de chaque province acquiert un caractère particulier,
qu’un oeil exercé peut parvenir à discerner; et les usages
de certaines chancelleries ont donné à l’écriture de
certaines catégories d’actes un aspect particulier. Mais, chose
remarquable, ces modifications locales sont relativement peu importantes,
à peine assez pour qu’elles puissent aider à discerner la
provenance des documents, et somme toute l’évolution de
l’écriture a suivi depuis le XIIe siècle une marche commune
dans les États même les plus éloignés les uns
des autres.
Une marche commune, mais non point partout aussi rapide : on peut dire que
le développement de l’écriture a été en avance
dans les pays de l’Ouest, en retard dans ceux de l’Est, et qu’entre les deux
il y a approximativement une différence de tout un siècle.
Mais il faut observer que cette notion, pour vraie qu’elle soit en ce qui
touche l’évolution générale de l’écriture, est
d’un secours bien insuffisant pour la solution du problème qui se
pose constamment à qui étudie les textes du moyen âge
: dater un document d’après ses caractères paléographiques.
Non seulement, en effet, certains pays étaient en retard sur
d’autres, certaines chancelleries ou certains bureaux d’écriture
s’appliquaient à conserver la tradition d’une écriture ancienne,
mais surtout les scribes conservaient toute leur vie l’écriture de
leur jeunesse; aussi les problèmes de ce genre ne peuvent guère
comporter que des solutions approximatives ou pour mieux dire incertaines.
Le XIIe siècle est l’âge de la belle minuscule romane, de celle
que M Wattenbach appelle la minuscule achevée de forme (ausgebildete
Minuskel) . Mais dès la fin de ce même siècle se
manifestent les premiers symptômes d’une dégénérescence
: on écrit beaucoup plus qu’autrefois, avec plus de rapidité
et conséquemment de négligences; les abréviations se
multiplient, et peu à peu les caractères tendent à prendre
un aspect anguleux. C’est le commencement de la métamorphose de
l’écriture romane en gothique qui s’effectue au cours du XIIIe
siècle. Ce terme de gothique n’implique bien entendu aucune relation
avec les Goths; il date d’un temps où on l’appliquait non sans
mépris à toutes les choses du moyen âge.
Dès le commencement du XIIIe siècle avait reparu dans les actes
non solennels une écriture cursive ou plutôt courante qui
n’est autre chose qu’une minuscule négligée, dans laquelle
les lettres d’un même mot sont écrites sans lever la plume.
D’abord raide et droite ou penchée à gauche, formée
de caractères serrés, elle ne tarde pas à s’espacer
tout en réunissant les lettres par des ligatures, puis elle se resserre
et devient plus anguleuse à la fin du même siècle et
au commencement du suivant. Vers le même temps la combinaison de cette
cursive avec la minuscule forme une nouvelle écriture diplomatique
très uniforme, très répandue, et qui sert à
écrire jusqu’aux actes les plus solennels.
L’usage de la cursive se propagea de plus en plus au XIVe siècle et
au XVe siècle et presque partout elle tendit à se substituer
à l’écriture mixte. Dans la pratique des notaires, des greffiers,
des procureurs, elle aboutit à une écriture précipitée,
dont les abréviations, souvent nombreuses, sont très
irrégulières, et qui est à grand’peine lisible. En
même temps les variétés se multiplient et
l’écriture prend un caractère personnel plus accusé.
La grande gothique et les lettres de forme, dont l’emploi est très
fréquent dans les manuscrits, sont très rares au contraire
dans les documents diplomatiques, où on ne les rencontre guère
que dans la première ligne et encore exceptionnellement.
Au XVe siècle, une nouvelle réforme calligraphique se produisit
en Italie. Les humanistes abandonnèrent la gothique et
s’appliquèrent à reproduire l’écriture des beaux manuscrits
où s’était conservés un grand nombre de chefs-d’oeuvre
de l’antiquité, c’est-à-dire la minuscule caroline. Cette
réforme, inaugurée à Florence dans les premières
années du XVe siècle, se propagea rapidement en Italie. La
cour romaine adopta la nouvelle écriture pour l’expédition
des brefs.
En France, elle ne pénétra qu’assez tard. A partir du règne
de Louis XII les documents diplomatiques en subirent l’influence; mais seulement
les plus solennels, ceux qui'l était d’usage d’écrire avec
le plus de soin. On imita plus tard l’écriture inclinée à
droite des chancelleries italiennes, qui a conservé le nom
d’italique. Ce fut ainsi que les formes gothiques disparurent à
peu près complètement des documents diplomatiques au cours
du XVIe siècle. Mais ce qui prédomina surtout pendant ce
siècle, ce fut d’une part l’écriture individuelle et, d’autre
part, pour toutes les écritures courantes des notariats, des greffes
et des administrations, une cursive dégénérée,
à peine formée et pleine des abréviations les plus
arbitraires.
A la fin de ce même siècle, sous le pontificat de Clément
VIII (1592-1605), la chancellerie apostolique inaugura une écriture
nouvelle, singulière et particulièrement laide, composée
de pleins énormes et de déliés d’une finesse extrême,
surchargée d’abréviations sans rapport avec les abréviations
conventionnelles du moyen âge. C’est la littera sancti Petri
ou scrittura bollatica, qui est demeurée en usage pour
l’expédition des bulles jusqu’au pontificat de Léon XIII (1878
à 1903).
Au XVIIe siècle, l’écriture s’améliora notablement.
Dans les actes publics, à l’italique ou à la bâtarde
du siècle précédent se substitua généralement
en France une grosse ronde, souvent tracée avec un soin extrême
et dont le principal mérite est d’être parfaitement lisible.
Elle est restée en usage, concurremment avec la bâtarde,
jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Mais dans les greffes comme
dans les études de procureur on conserva longtemps la tradition de
la cursive déformée et dégénérée,
qui semble au premier aspect un griffonnage indéchiffrable, et ce
fut seulement au début du XVIIIe siècle que l’écriture
judiciaire commença à devenir un peu plus lisible.
Il n’est pas rare de rencontrer dans les documents antérieurs au XI°
siècle quelques mentions en notes tironiennes. On sait que
l’on désigne sous ce nom un système de tachygraphie dont
l’invention est attribuée à un affranchi de Ciceron du nom
de Tiron. L’étude de cette écriture est naturellement du ressort
de la paléographie et il n’y a lieu de s’occuper ici que de l’emploi
qui en a été fait dans les documents diplomatiques.
Il suffira de rappeler brièvement que dans ce système, chaque
mot est représenté par un seul caractère, composé
d’éléments d’origine alphabétique, mais dont la combinaison
a pris en quelque sorte par l’usage une valeur idéographique; et
qu’à côté de ces caractères, on y emploie, pour
exprimer les noms propres ou d’autres mots inconnus aux glossaires tironiens,
des signes phonétiques de même origine, représentant
chacun une syllabe.
C’est surtout dans les documents français et spécialement dans
les diplômes royaux que l’on rencontre des notes tironiennes. A
l’époque mérovingienne, elle accompagne le plus souvent la
souscription du référendaire. La plus ancienne qu’on ait
signalée se trouve dans un diplôme de Clotaire II (diplôme
de 625), mais ce n’est qu’à partir du règne de Thierry III
qu’elles deviennent fréquentes. Il n’est pas douteux que
l’écriture tironienne ait été un système de
tachygraphie, et non pas, comme l’a dit longtemps à tort, une
écriture secrète, mais son emploi dans les diplômes et
à cette place semble bien avoir été une précaution
contre les faussaires.
Les mentions en notes des diplômes mérovingiens, d’une grande
difficulté de lecture à cause de l’enchevêtrement des
caractères, sont généralement courtes; elles contiennent
des indications relatives à la confection de l’acte; le nom par exemple
de celui qui l’a prescrit, ou de celui qui l’a collationné, relu ou
souscrit. Mais, en somme, ces brèves mentions ne sont pas
indifférentes à l’histoire. L’indication que l’ordre émane
du maire du palais, la plus fréquente de toutes, et que l’on rencontre
dés 677 (ordinante Ebroino majore domus), est un indice à
retenir sur le rôle de ce grand personnage.
L’usage des notes tironiennes, fort restreint à l’époque
mérovingienne, semble s’être développé sous la
dynastie carolingienne. On écrivit alors en notes des manuscrits entiers,
comme le recueil des formules de la chancellerie impériale de Louis
le Pieux; on continua à mettre des mentions en note dans les
diplômes des souverains, et dans certains pays on prit même
l’habitude d’en ajouter aux chartes solennelles. Bien plus, l’emploi des
notes était devenu courant à ce point, au milieu du IXe
siècle, qu’un moine de Saint-Arnoul de Metz, voulant garder mémoire
des détails d’une affaire, la résumait en notes tironiennes
au verso d’un acte qui la concernait, trouvant plus pratique et plus rapide
de l’écrire en tachygraphie qu’en écriture ordinaire.
Dans les diplômes des monarques carolingiens depuis Louis le Pieux,
les notes accompagnent le plus souvent, comme auparavant, la souscription
de chancellerie et se placent dans la ruche, mais on en trouve aussi qui
sont jointes à l’invocation monogrammatique du début, placées
à la suite de la date, ou parfois même immédiatement
après la teneur. Non seulement les mentions sont plus nombreuses,
mais elles sont souvent aussi plus développées. Ce sont assez
fréquemment des invocations, des formules pieuses ou d’autres mentions
oiseuses, mais fréquemment aussi des indications intéressantes,
plus variées que celles des diplômes mérovingiens. On
y trouve, par exemple, le nom du personnage par l’intermédiaire duquel
le diplôme a été obtenu, le nom du dictator,
celui du scribe, etc.
Ces mentions en notes, très fréquentes dans les actes royaux
et impériaux jusqu’à la fin du IXe siècle, en disparaissent
au Xe siècle, et bientôt la connaissance même des notes
tironiennes ne tarda pas à se perdre si complètement dans la
chancellerie des rois de France que les scribes ajoutèrent souvent
par tradition, à l’endroit où il avait été
d’usage de mettre des notes, des signes quelconques qui ressemblent vaguement
aux caractères tironiens mais qui n’ont plus aucune signification.
Parfois même ils s’appliquèrent à reproduire,
d’après un diplôme antérieur, des notes qui défient
toute tentative de déchiffrement si on ne les rapproche du modèle.
Si, dans les diplômes, l’usage des notes se perd au Xe siècle,
c’est au contraire l’époque où elles se rencontrent le plus
fréquemment dans les chartes ecclésiastiques ou privées,
mais seulement dans une certaine région, la Touraine, où la
connaissance s’en était perpétuée dans quelques écoles
monastiques. On a dit plus haut que dans les actes des souverains l’emploi
des notes avait dû être une précaution contre les faussaires,
mais il semble bien que celles des chartes privées n’ont eu d’autre
raison d’être que la fantaisie et la vanité des clercs qui les
traçaient. Ce sont très rarement des mentions
développées; on les rencontre presque toujours dans les
souscriptions et elles n’en représentent le plus souvent que quelques
mots, rarement le nom propre, généralement le titre suivie
du signe S+ qui signifie subscripsit. Les plus longues
sont les souscriptions des scribes. Cet emploi des notes a duré
jusqu’à l'extrême fin du Xe siècle. Au XIe on rencontre
encore quelque temps la signification, mais qui se perdent peu à peu.
Le plus usité est toujours le signe S+ (subscripsit) qui termine les souscriptions; mais la notion exacte
de la signification finit aussi par s’oublier, et il n’est pas rare, au cours
du XIe siècle, de le voir plaçé devant le nom au
génitif (S+ Gosfredi, par exemple); dans la
pensée de ceux qui le traçaient il représentait alors
évidemment le mot signum.
Un autre système de tachygraphie, une écriture syllabique,
dérivée des notes tironiennes, a été employée
en Italie au Xe siècle et dans les premières années
du XIe. Comme les notes tironiennes proprement dites, cette écriture
a servi tantôt de tachygraphie, pour prendre des notes rapides, inscrire
au dos des actes des mentions (analyses ou minutes), et tantôt
d’écriture secrète, comme précaution contre les faussaires.
C’est le cas, par exemple, des souscriptions en notes qui se trouvent au
bas de quelques bulles de Silvestre II.
Les éditeurs de textes du haut moyen âge négligent trop
souvent les notes qui se rencontrent dans les documents qu’ils publient.
Pour cette époque reculée, toutes ces mentions et même
les moindres ont un intérêt; à défaut d’un
déchiffrement, qu’il n’est pas toujours possible de donner, il faut
avoir soin de faire mention de ces signes, ou mieux d’en donner une reproduction
exacte. Les procédés de fac-similés d’après les
images photographiques sont aujourd’hui assez répandus et assez peu
coûteux pour qu’il soit souvent possible de joindre aux publications
de textes des illustrations de cette nature.
L’étude critique des documents conduit fréquemment le diplomatiste
à essayer de discerner le caractère individuel d’une écriture
et à y rechercher pour ainsi dire la marque de la personnalité
de son auteur. Il faut décider si toutes les parties d’une charte
sont de la même main, déterminer dans une série de
diplômes ceux qui sont l’oeuvre d’un même scribe, reconnaître
dans un document l’écriture d’un personnage.
Il n’est pas indifférent à la critique de savoir si, dans les
grandes bulles, par exemple les souscriptions des cardinaux sont autographes
ou si elles ont été tracées par des scribes, de discerner
dans un diplôme royal, dont l’authenticité ou le caractère
original pourraient être suspectés, la main d’un scribe ordinaire
de la chancellerie. Et, pour prendre un exemple plus précis, on conviendra
qu’il y a quelque intérêt à reconnaître dans la
date des années de l’incarnation ajoutée à presque toutes
les chartes anciennes de l’abbaye de Saint-Maur-des-Faussés,
l’écriture d’un moine historien qui les compulsait au XIe siècle
en vue de raconter la vie du bienfaiteur de l’abbaye.
La solution de tous les problèmes de ce genre qui peuvent se
présenter est fondée en grande partie sur la comparaison des
écritures. Relativement faciles à partir de l’époque
où l’emploi ordinaire de la cursive donne à l’écriture
un caractère assez personnel, les recherches de cette nature sont
beaucoup plus délicates pour l’époque où l’emploi ordinaire
de la cursive donne à l’écriture un caractère assez
personnel, les recherches de cette nature sont beaucoup plus délicates
pour l’époque de la minuscule. On peut dire toutefois que, si
impersonnelle qu’ait été pendant longtemps l’écriture
des chartes, un oeil exercé arrive toujours à y discerner certaines
particularités par où se décèle la personnalité
du scribe. La première des conditions, en effet, pour arriver à
faire avec fruit les observations et les comparaisons utiles au but que
l’on poursuit, c’est d’apprendre à voir, d’acquérir par
l’exercice l’éducation de ses yeux.
Mais il n’en est pas moins vrai qu’il existe dans les écritures du
moyen âge certains caractères particuliers qui peuvent
déterminer la méthode à suivre à cet égard.
L’un des plus importants est ce que l’on pourrait nommer le trait, qui
dépend de la manière particulière à chaque scribe
de tenir et de conduire sa plume, et qui donne à l’exécution
des pleins et des déliés plus ou moins de force, de finesse,
d’élégance, de fermeté ou d’incertitude.
Il faut aussi remarquer que les scribes du moyen âge, à
l’époque du moins où ils employèrent la minuscule,
dessinaient plutôt qu’ils n’écrivaient dans le sens que nous
attachons aujourd’hui à ce terme; au lieu de tracer comme nous le
faisons une lettre d’un seul trait, ils levaient la plume à plusieurs
reprises; il en résulte que certains caractères sont composés
de trois, quatre et jusqu’à cinq traits de plume, droits ou courbés.
C’est en ce point que la manière particulière à chaque
scribe se révèle le plus sûrement. A défaut des
originaux, l’observation se peut faire sur les fac-similés qui ont
pour base de bonnes reproductions photographiques; mais on comprendra
qu’elle n’a plus la même valeur si on la fait sur des reproductions
qui dérivent d’un dessin ou d’un calque.
On doit considérer encore que les écrivains des chartes n’ont
pas eu plus que nous une écriture uniforme, constante, toujours semblable
à elle-même. Le plus ou moins de hâte, l’existence d’un
modèle, la dimension et la qualité du parchemin, la nature
même de l’acte, sont, entre beaucoup d’autres, des circonstances qui
influaient sur le caractère de l’écriture d’un scribe.
On ne saurait, non plus, comme on l’a fait trop souvent, déterminer
son jugement d’après la forme particulière d’une seule ou
même de quelques lettres. Il pouvait arriver, et il arrive en effet,
qu’entre les diverses formes d’une même lettre un scribe choisissait
à sa fantaisie tantôt l’une et tantôt l’autre. On doit
donc se garder d’employer pour comparer des écritures le
procédé en quelque sorte mécanique qui consiste à
isoler quelques caractères d’un texte également isolés.
Il faut reconnaître cependant que, tout en comparant les écritures
dans leur ensemble, il y a dans les documents certaines parties, certaines
phrases, certains mots, certaines lettres, certains signes, sur lesquels
on peut porter une attention particulière.
Il en est ainsi des parties où se rencontrent des formules communes
à la plupart des documents : invocation, suscription, clauses finales,
souscription, date, apprécation, que le scribe devait écrire
pour ainsi dire machinalement, et où se trahissent inconsciemment
ses habitudes de plume; il en est ainsi encore de la première ligne
en écriture allongée et de tous les mots dont
l’écriture diffère de la minuscule ordinaire; il en est ainsi
enfin des lettres initiales ou finales des mots, des hastes et des queues,
des ligatures, des signes d’abréviations et de ponctuation, etc.,
partout enfin où l’on peut présumer que certaines formes se
sont en quelque sorte stéréotypées et doivent déceler
la main d’un seul scribe alors même qu’il aurait employé des
écritures différentes. Il va de soi que les habitudes
orthographiques doivent entrer aussi en ligne de compte. Mais il ne faut
pas oublier que beaucoup de ces particularités d’écriture peuvent
provenir d’influences d’école ; qu’elles peuvent se transmettre de
maître à élève, et, dans les bureaux, de
supérieur à subalterne.
Livre des sources médiévales:
SOMMAIRE
Livre des sources médiévales: [xyxy]: text sources from the now defunct Arisitum website. Contact Paul Halsall, halsall@murray.fordham.edu if any text is here improperly.
These sources are now part of the Internet Medieval Sourcebook.
|