I Extrait d'un traité de djihâd
            
            
            composé vers 1105 par Al-Sulamî à Damas (éd. Sivan,
            
            
            journal asiatique, 1966) .
              
             ...Une partie des infidèles assaillit à l'improviste l'île
                
                
                de la Sicile, mettant à profit des différends et des
                
                
                rivalités qui y régnaient; de cette manière les
                
                
                infidèles s'emparèrent aussi d'une ville après l'autre
                
                
                en Espagne. Lorsque des informations se confirmant l'une l'autre leur parvinrent
                
                
                sur la situation perturbée de ce pays (la Syrie), dont les
                
                
                souverains se détestaient et se combattaient, ils résolurent
                
                
                de l'envahir. Et Jérusalem était le comble de leur voeux. 
             Examinant le pays de Syrie, les Francs constataient que les Etats étaient
              
              
              aux prises l'un avec l'autre, leurs vues divergeaient, leur rapports reposaient
              
              
              sur des désirs latents de vengeance. Leur avidité s'en trouvait
              
              
              renforcée, les encourageant à s'appliquer (à
                
                
                l'attaque). En fait, ils mènent encore avec zèle le
              
              
              djihâd contre les musulmans; ceux-ci, en revanche, font preuve de manque
              
              
              d'énergie et d'union dans la guerre, chacun essayant de laisser cette
              
              
              tache aux autres. Ainsi les Francs parvinrent-ils à conquérir
              
              
              des territoires beaucoup plus grands qu'ils n'en avaient l'intention, exterminant
              
              
              et avilissant leurs habitants. Jusqu'à ce moment, ils poursuivent
              
              
              leur effort afin d'agrandir leur entreprise; leur avidité s'accroît
              
              
              sans cesse dans la mesure ou ils constatent la lâcheté de leurs
              
              
              ennemis, qui se contentent de vivre à l'abri du danger. Aussi
              
              
              espèrent-ils avec certitude se rendre maîtres de tout le pays
              
              
              et en faire prisonniers les habitants; Plaise à Dieu que, dans sa
              
              
              bonté, ils les frustre dans leurs espérances en rétablissant
              
              
              l'unité de la communauté. Il est proche et exauce les voeux. 
             (...) 
             Vos doutes s'étant dissipés, vous devez maintenant être
              
              
              sûr quant à votre obligation personnelle de guerroyer pour la
              
              
              foi. Cette tâche incombe plus spécialement aux souverains, puisque
              
              
              Allâh leur a confié les destinées de leurs sujets, et
              
              
              prescrit de veiller à leurs intérêts et de défendre
              
              
              le territoire musulman. Il faut absolument que le souverain s'emploie chaque
              
              
              année à attaquer les territoires des infidèles et à
              
              
              les en chasser, ainsi qu'il est enjoint à tous les chefs (musulmans),
              
              
              pour exalter dorénavant la parole de la foi et abaisser celle des
              
              
              mécréants, enfin pour dissuader les ennemis de la religion
              
              
              d'Allâh de désirer entreprendre de nouveau une telle
              
              
              expédition. On est saisit d'un étonnement profond à
              
              
              la vue de ces souverains qui continuent à mener une vie aisée
              
              
              et tranquille lorsque survient une telle catastrophe, à savoir la
              
              
              conquête du pays par les infidèles, l'expatriation forcée
              
              
              (des uns) et la vie d'humiliation (des autres) sous le joug
              
              
              des infidèles, avec tout ce que cela comporte : carnage, captivité
              
              
              et supplices qui continuent jours et nuits 
              
            
               II Les origines de la première croisade vue
                
                
                par l'historien musulman Ibn al-Athîr (XIIIe) (Kâmil. Tornberg,
                
                
                X, an 497) 
             La première manifestation des Francs, de leur puissance et de leur
              
              
              expansion aux dépens des pays musulmans, fut en 478 (1085)
              
              
              la prise de Tolède et d'autres villes Espagnoles. Ce dont nous avons
              
              
              déjà parlé. En 484 (1091), ils achevèrent
              
              
              la conquête de la Sicile, que nous avons aussi déjà
              
              
              racontée; ils attaquèrent même les côtes d'Afrique,
              
              
              en occupèrent quelques points, mais on les leur reprit; plus tard,
              
              
              on le verra, ils devaient en occuper d'autres. En 490 (1097), ils
              
              
              envahirent la Syrie, et en voici la raison : 
             Leur roi Baudoin avait rassemblé une grande armée franque.
              
              
              Il était parent de Roger le Franc, qui avait conquis la Sicile, et
              
              
              il lui fit dire qu'ayant réuni une grande armée, il allait
              
              
              venir dans son pays, passer de là en Afrique (la Tunisie),
              
              
              la conquérir, et ainsi devenir son voisin. Roger convoqua ses compagnons
              
              
              et leur demanda conseil à ce sujet. "Par l'Evangile, dirent-ils,
              
              
              voilà qui est excellent pour nous comme pour eux : demain l'Afrique
              
              
              sera terre chrétienne". Alors Roger leva le pied, fit un grand pet
              
              
              et dit : "Par ma foi, vous en avez de bonnes, avec vos paroles! Comment ?
              
              
              S'ils viennent de mon côté, je vais avoir à faire de
              
              
              gros frais, à équiper des navires pour les transporter en Afrique,
              
              
              à les renforcer de mes armées aussi; et s'ils conquièrent
              
              
              le pays, il sera à eux; à eux ira le ravitaillement produit
              
              
              par la Sicile, et je cesserai de percevoir le bénéfice de la
              
              
              vente annuelle des récoltes; et s'ils ne conquièrent pas le
              
              
              pays, ils reviendront dans mes Etats, j'en subirai de grands dommages.
              
              
              Tamîm (le prince musulman de Tunisie) dira que j'ai violé
              
              
              le traité et que je l'ai trompé et c'en sera fait des bons
              
              
              rapports et des relations marchandes qui durent entre nous depuis que nous
              
              
              avons eu la force de conquérir la Sicile". Et Roger fit venir
              
              
              l'ambassadeur de Baudouin, et lui dit: "Si vous avez l'intention de faire
              
              
              la guerre sainte contre les musulmans, il vaut mieux conquérir
              
              
              Jérusalem; vous la libérerez de leurs mains, et vous en retirerez
              
              
              la gloire. Pour ce qui est de l'Afrique, il y a entre moi et ses habitants
              
              
              foi et traités". Alors ils firent leurs préparatifs et se mirent
              
              
              en marche vers la Syrie. 
             On dit aussi que les seigneurs alides d'Egypte, lorsqu'ils eurent vu grandir
              
              
              la puissance des Seldjouqides et assisté à la conquête
              
              
              par ceux-ci de la Syrie jusqu'à Gaza, si bien qu'il ne restait plus
              
              
              entre l'Egypte et eux d'autre Etat pour les protéger et qu'Atsîz
              
              
              avait envahi l'Egypte, prirent peur et firent demander aux Francs d'envahir
              
              
              la Syrie, afin d'en prendre possession, et de s'interposer entre les musulmans
              
              
              et ses ennemis. 
             Les Francs se mirent en route ... (suit le récit de la croisade). 
              
            
               III Récit du moine arménien Hovannés
                
                
                (Jean) à la fin d'un manuscrit copié par lui au monastère
                
                
                de saint-Barlaam, dans la ville haute d'Antioche, pendant les opérations
                
                
                militaires de 1098 (traduit du latin de la traduction faite sur le texte
                
                
                arménien par le père Peeters, « Miscellanea Historica
                
                
                Alberti de Meyer », Louvin, 1946, p. 376) 
             ...Cette année le seigneur visita son peuple, comme il est écrit
              
              
              : "Je ne vous abandonnerai ni ne vous quitterai". Le bras tout puissant de
              
              
              Dieu devint le guide. Ils apportèrent le signe de croix du Christ,
              
              
              et l'ayant élevé en mer, massacrèrent une multitude
              
              
              d'infidèles, et mirent les autres en fuite sur terre. Ils prirent
              
              
              la ville de Nicée, qu'il avaient assiégée cinq mois.
              
              
              Puis ils vinrent dans notre pays, dans la région de Cilicie et de
              
              
              Syrie, et investirent en se répandant autour d'elle la métropole
              
              
              d'Antioche. Pendant neuf mois ils infligèrent à eux même
              
              
              et aux régions voisines de considérables épreuves. Enfin,
              
              
              comme la capture d'un lieu aussi fortifié n'était pas au pouvoir
              
              
              des hommes, Dieu puissant par ses conseils procura le salut et ouvrit la
              
              
              porte de la miséricorde. Ils prirent la ville et avec le tranchant
              
              
              du glaive tuèrent l'arrogant dragon avec ses troupes. Et après
              
              
              un ou deux jours, une immense multitude fut rassemblée qui apporta
              
              
              secours à ses congénères; par la suite de leur grand
              
              
              nombre, méprisant le petit nombre des autres, ils étaient insolents
              
              
              à l'instar du pharaon, lançant cette phrase: "Je les tuerai
              
              
              par mon glaive, ma main les dominera". Pendant quinze jours, réduits
              
              
              à la plus grande angoisse, ils étaient écrasés
              
              
              d'affliction, parce que manquaient les aliments nécessaires à
              
              
              la vie des hommes et des juments. Et gravement affaiblis et effrayés
              
              
              par la multitude des infidèles, ils se rassemblèrent dans la
              
              
              grande basilique de l'apôtre saint Pierre, et avec une puissante clameur
              
              
              et une pluie d'abondante larmes se produisait une même flagitation
              
              
              de voix. Ils demandaient à peu près ceci: "Notre Seigneur et
              
              
              Sauveur Jésus-Christ, en qui nous espérons et par le nom duquel
              
              
              en cette ville nous sommes appelés chrétiens, tu nous as
              
              
              amenés en ce lieu. Si nous avons péché contre toi, tu
              
              
              as beaucoup de moyens de nous punir; veuille ne pas nous livrer aux
              
              
              infidèles, afin qu'élevés d'orgueil ils ne disent pas:
              
              
              Où est leur Dieu ?". Et, frappés par la grâce de la
              
              
              prière, ils s'encourageaient les uns les autres, disant: "Le Seigneur
              
              
              donnera la force à son peuple; le Seigneur bénira son peuple
              
              
              dans la paix". Et chacun d'eux s'élançant sur son cheval, ils
              
              
              coururent sus aux menaçants ennemis; ils les dispersèrent,
              
              
              les mirent en fuite et les massacrèrent jusqu'au coucher du soleil.
              
              
              Cela fut une grande joie pour les Chrétiens, et il y eut abondance
              
              
              de blé et d'orge, comme au temps d'Elysée aux portes de Samarie.
              
              
              C'est pourquoi ils s'appliquèrent à eux-mêmes le cantique
              
              
              prophétique: "Je Te glorifie, Seigneur, parce que Tu t'es chargé
              
              
              de moi, et Tu n'as pas à cause de moi donné la joie à
              
              
              mon ennemi". 
              
            
                IV L'occupation de Tripoli par les Francs (Ibn
                
                
                abi Tayyî, dans Ibn al-Furât). 
             Il y avait à Tripoli un palais de la Science qui n'avait en aucun
              
              
              pays son pareil en richesse, beauté ou valeur. Mon père m'a
              
              
              raconté qu'un shaykh de Tripoli lui avait dit avoir été
              
              
              avec Frakhr al-Mulk b. 'Ammar lorsque celui- ci se trouvait à Shayzar,
              
              
              et que venait de lui parvenir la nouvelle de la prise de Tripoli. Il
              
              
              s'évanouit, puis revint à lui en pleurant à chaudes
              
              
              larmes. "Rien ne m'afflige, dit-il, comme la perte du palais de la science.
              
              
              Il y avait là trois millions (?) de livres, tous de théologie,
              
              
              de science coranique, de hadîth, d'adab et, entre autre, cinquante
              
              
              mille Corans et vingt mille commentaires du Livre de Dieu Tout-Puissant".
              
              
              Mon père ajoutait que ce palais de la Science était une des
              
              
              merveilles du monde. Les Banu 'Ammâr y avaient consacré
              
              
              d'énormes richesses; il s'y trouvaient cent quatre-vingts copistes
              
              
              appointés dont trente y demeuraient nuit et jour. Les Banu 'Ammâr
              
              
              avaient dans tous les pays des agents qui leur achetaient des livres de choix.
              
              
              A vrai dire, de leur temps, Tripoli entière était palais de
              
              
              la Science, les grands esprits de tous pays s'y rendaient, toutes les sciences
              
              
              étaient cultivées auprès de ces princes, et c'est pourquoi
              
              
              l'on y venait, en particulier les adeptes de la science immamienne, qu'ils
              
              
              aimaient et dont ils étaient les adhérents. Lorsque les Francs
              
              
              entrèrent à Tripoli et conquièrent la ville, ils
              
              
              brûlèrent le palais de la Science, parce qu'un de leurs
              
              
              prêtres maudits, ayant vu ces livres, en avait été
              
              
              terrifié. Il s'était trouvé tomber sur le Trésor
              
              
              des Corans, il étendit la main vers un volume, c'était un Coran,
              
              
              vers un autre, encore un Coran, vers un troisième, encore de même,
              
              
              et il en vit vingt à la suite. " Il n'y a que des Corans des musulmans
              
              
              dans cette maison". dit-il, et ils la brûlèrent. On arracha
              
              
              cependant quelques livres, qui passèrent en pays des musulmans. 
             Ils détruisirent aussi toutes les mosquées, et furent sur le
              
              
              point de massacrer tous les habitants musulmans. Mais un chrétien
              
              
              leur dit : "Ce n'est pas sage, c'est une grande ville: où prendrez-vous
              
              
              les gens pour l'habiter ? Ce qu'il faut, c'est leur imposer une capitation,
              
              
              après avoir confisqué leurs biens, et les obliger a habiter
              
              
              à la ville, sans leur permettre d'en sortir, de façon qu'ils
              
              
              soient comme prisonniers et que leur séjour vous soit profitable".
              
              
              Ils (...) après en avoir massacré vingt mille. 
             Quant au gouverneur et à quelques troupes, ils se réfugièrent
              
              
              au palais de l'émirat, et s'y défendirent quelques jours; puis
              
              
              ils demandèrent l'aman et l'obtinrent; ils furent expulsés
              
              
              de la ville, et allèrent à Damas. Puis les Francs prirent les
              
              
              notables et les chrétiens qui avaient avoué être riches,
              
              
              et les frappèrent et les torturèrent jusqu'à ce qu'ils
              
              
              livrassent leur fortune; beaucoup moururent sous la torture. La ville fut
              
              
              partagée entre les Francs en trois parts, l'une pour les Génois,
              
              
              les deux autres pour Baudouin, roi des Francs à Jérusalem,
              
              
              et pour Saint-Gilles le maudit. 
             La prise de Tripoli, et les épreuves de sa population consternèrent
              
              
              tout le monde. On s'assembla dans les mosquées pour le deuil des morts;
              
              
              tout le monde prit peur et se persuada de l'avantage d'une émigration;
              
              
              et un grand nombre de musulmans partirent pour l'Iraq et la Djéziré.
              
              
              Dieu sait mieux (...). L'on apprit que la flotte égyptienne était
              
              
              arrivée à Tyr huit jours après la chute de Tripoli,
              
              
              par l'arrêt du sort. Jamais une flotte semblable n'était sortie
              
              
              d'Egypte, et elle contenait des renforts, des vivres, de l'argent, de quoi
              
              
              ravitailler Tripoli pour un an. Lorsque le commandant de la flotte eut apprit
              
              
              la chute de Tripoli, il répartit les provisions et l'argent apporté
              
              
              entre Tyr, Saïda, Beyrouth et les autres places fortes musulmanes, et
              
              
              ramena la flotte en Egypte. 
             Fakir al-Mulk b.'Ammâr, le seigneur de Tripoli, lors de la prise de
              
              
              la ville, se trouvait chez l'émir Ibn Munqidh, qui lui offrait
              
              
              l'hospitalité. Il se rendit à Djabala et s'y fixa après
              
              
              y avoir fait apporter des provisions et des armes. Tancrède vint
              
              
              l'attaquer et lui livra de durs combats. Le cadi Fakhr al-Mulk appela au
              
              
              secours les princes des environs, leur faisant craindre la perfidie des Francs,
              
              
              et que , s'ils occupaient cette place, ils en gagnassent une autre, et que
              
              
              leur puissance s'accrût peut-être assez pour leur permettre de
              
              
              s'emparer de toute la Syrie et en expulser les musulmans. La lettre était
              
              
              longue, elle fit saigner les coeurs et pleurer les yeux, mais nul ne lui
              
              
              répondit (...).
          
          Livre des sources médiévales: [xyxy]: text sources from the now defunct Arisitum website. Contact Paul Halsall, halsall@murray.fordham.edu if any text is here improperly.