Le discours qui suit, a été proclamé par Alexandre BOISSIER Fils,
à Langlade (Gard) le 14 Mai 1848 pour la fête
de la République.
Liberté, Egalité, Fraternité,
Citoyens,
Paris, la capitale du monde civilisé a célébré
le 4 Mai à la face du soleil, à l'acclamation unanime de tous
ses habitants et des représentants du peuple l'inauguration
définitive de la République Française. C'est dans cette
grande ville, centre des lumières et des arts, foyer de la Liberté
et du patriotisme que s'est célébrée aujourd'hui la
première fête de la nouvelle démocratie, le gouvernement
de tous par tous et pour tous. Cette fête solennelle qui trouvera sans
doute de l'écho dans nos coeurs, n'offre aucun contraste avec les
fêtes célébrées dans cette cité depuis
l'établissement de nos dernières dynasties. Ce n'est point
un tournoi ou un carousel où les nobles seuls venaient prendre part
et d'où la pauvreté, la simplicité même étaient
exclues par l'hypocrisie des seigneurs. On n'y verra pas sans doute des dames
parées avec magnificence et splendeur prendre place sur des gradins
exprès pour elles, pour examiner les combattants et se choisir
entr'eux un amant. C'était là que se rendaient les jeunes
chevaliers de tous les points du royaume, montés sur des coursiers
resplendissants d'or et d'azur, pour prendre part aux fanfares de la cour,
se créer un nom, s'acharner dans le combat contre un adversaire quelconque
peut-être s'entretuer pour subjuguer le coeur d'une belle. Non, la
République qui nous a donné à tous le glorieux nom de
citoyen et qui veut l'abolition de tous les privilèges a dédié
cette fête aux arts et à l'agriculture, y a invité tous
les habitants de Paris, sans distinction de rang ni de fortune, ceux-là
seuls qui se sont enfuis après avoir fait couler si ignominieusement
le sang du peuple en étaient exclus. Au lieu des chevaux sur lesquels
éclataient le luxe des cours, il y a des boeufs aux cornes dorées,
symbole de la corne d'abondance, et après eux une charrue traçant
lentement un pénible sillon arrosé par la sueur du laboureur
et nous donner pour prix les trésors de Cérès. Au lieu
d'une voiture surchargée des fastes du moyen-age et décorée
des emblèmes de la royauté, il y a un simple char , orné
seulement de quelques guirlandes à fleurs sur lequel sont des jeunes
filles simplement parées, symbole de la naiveté et emblème
des arts et portant dans leurs mains des branches de chêne, d'olivier
et de laurier. Pour qui citoyens sont destinées ces branches de
chêne, elles sont sans doute pour tresser des couronnes civiques aux
martyrs de Février, aux sauveurs de la Liberté, et qui ne
reçoivent, à l'exemple de Guillaume Tell pour tout prix de
leur dévouement à la cause de saint du peuple qu'une couronne
de chêne. Mais ne vaut-il pas mieux ces modestes récompenses
empreintes de la sympathie et de l'estime de tout un peuple que ces
éblouissants diadèmes de rois où étaient
prodigués les diamants, les rubis et les émeraudes que l'on
a brisés sur leur tête, et ont emporté au-delà
des mers la haine irréconciliable de leurs sujets et aussi que ce
nombre infini de croix d'honneur qui brillaient naguère sur tant de
poitrines sans mérite. L'olivier don de Minerve est le symbole de
la Paix et de la Fraternité proclamée aujourd'hui par toute
une nation aux peuples de l'univers. Oui aimons cette paix et cette
Fraternité entre tous mais si jamais les tyrans et leurs esclaves
voulaient l'enfreindre et nous arracher notre liberté , levons nous
pour sa defense et qu'au haut de nos armes paraisse en laurier présage
de notre victoire et de la mort des tyrans. Dans cette sublime journée,
l'on verra sans doute le peuple, sous la blouse, l'uniforme et l'habit
fraterniser ensemble, s'aborder bruyament et faire retentir dans les airs
ce cri qu'ils aiment tant et leurs buyantes acclamations faire approuver
d'une voix unanime à tous nos représentants la solennité
de ce jour. Eh bien, citoyens de Langlade, puisque c'est aujourd'hui que
dans toute la France on célèbre cette fête et que nous
la célébrons nous-même, c'est aujoud'hui que nous venons
jurer devant ce saint emblème de nos droits d'aimer tous la
République de lui être fidèle et de mourir pour sa
défense. A l'exemple de nos frères de Paris, venons tous au
pied de ce saint arbre et du noble drapeau républicain, déposer
le levain de nos haines réciproques et n'etre qu'un et indivisible
comme est la République. Contemplons tous avec vénération
ces couleurs nationales émanant du très haut et placées
dans l'arc-en-ciel qui après la pluie nous annonce le beau temps,
qui avaient été ternies par un règne de corruption et
de mensonge, aujourd'hui plus brillantes que jamais leurs conséquences
nous présagent un heureux avenir. Soyons unis et nous serons forts
car l'union fait la force et la force fait la loi, rallions nous sans
arrière pensée au gouvernement nouveau et que du fond de nos
coeurs parte un cri si unanimement répété aujourd'hui
dans toute la France. Vive la République.
Citoyens portons tous nos regards sur ces glorieux drapeaux, combien de douces
espérances brillent dans leurs nobles devises Liberté Egalité
Fraternité. Ne croyons pas citoyens, en proclamant la liberté,
d'etre absolu dans nos volontés, libre dans toutes nos fantaisies,
exercer le droit du plus fort, non la liberté doit se baser sur la
raison de l'honnête homme, exclure toute chose deshonnête et
tout projet ambitieux, respecter les propriétés, toutes les
opinions et toutes les croyances, sans celà nous n'aurions pas le
droit de nous dire libres, car rien n'est plus fatal à la vraie
liberté que l'anarchie. Que l'égalité qui vient élever
notre âme à sa dignité ne soit pas comprises par vous
comme par tant de gens ignorants, ou abusés par des trompeurs, que
l'égalité signifie comme ils le croient la loi agraire, le
partage des biens, mais égalité de droit devant la loi et surtout
devant l'urne electorale qui depuis trop longtemps n'avait reçu les
suffrages que de quelques privilegiés. Ceux-ci seuls peuvent
s'opposer à l'egalité et nient par conséquent la
volonté suprème, car croyez vous citoyens que dieu en créant
l'homme à son image ait crû devoir faire des élus et
des réprouvés, des maitres et des esclaves , des tyrans et
des opprimés, non Dieu nous a donné à tous une même
âme pensante demandant un progrès toujours croissant, et
l'accroissement du progrès ne peut avoir sa définition que
dans le gouvernement républicain où l'âme du prolétaire
a les mêmes jouissances que celles du riche. Que la fraternité
nous unisse tous dans la même pensée et dans les mêmes
sentiments, qu'elle nous fasse avoir cette charité, cet amour, cette
conciliation qui après notre heure dernière fasse dire de nous
:il a aimé son prochain comme lui-même. Mais que cette
fraternité qui veut que nous nous aimions les uns les autres ne nous
fasse pas dormir dans l'oisiveté et dans l'insouciance car comme l'a
dit un célèbre républicain « les bons citoyens
ne doivent dormir que dans le tombeau ». Oui, veillons sans cesse au
salut de notre république et que le premier cri de réaction
soit le signal de notre victoire. Propageons les sentiments républicains
dans notre famille apprenons à nos enfants à aimer le bien
et à fuir le mal et surtout à cultiver nos champs et à
pratiquer la Vertu, voilà la seule noblesse que la république
demande aux bons citoyens. En quoi consiste-t-elle cette fille unique du
ciel et de la terre. Trois mots suffiront pour vous l'expliquer. La vertu
c'est la crainte de Dieu, l'amour des humains et la haine de leurs oppresseurs.
Et quels sont ces oppresseurs. Les rois et leurs flatteurs, l'aristocratie
et le clergé. eh bien en France les rois se sont enfuis en laissant
derrière eux les débris encore fumants de leur trone , les
flatteurs sont entrés dans l'obscurité pour ne plus revoir
la lumière du jour, l'aristocratie a été
dépouillée de ses privilèges par l'inauguration de la
république, et le clergé s'affaiblit par la décadence
de celui qu'il disait infaillible. Ces derniers sont nos plus cruels ennemis
et sous le masque de la vérité ils cherchent par leurs propos
flatteurs à nous diviser pour devenir ensuite nos maitres. Soyons
sans cesse en garde contre leur hypocrisie nous unissant de plus en plus
dans la fraternité. rappelons nous toujours que les combats livrés
peuple à peuple par l'ordre des despotes ou par l'influence de
l'aristocratie et du clergé sont comme deux amis qui se frappant dans
l'obscurité, poussés par un instigateur perfide, la lumière
du jour parait, se reconnaissent, s'embrassent, et chatient celui qui les
trompait. de même si un jour les armées ennemies se battaient
avec les notres ou que la guerre civile portat son fléau dévastateur
dans notre belle patrie, alors si le jour de la philosophie paraissait, si
la lumière et la vérité nous paraissaient à tous
brillante et pure, nous nous embrasserions à la face des tyrans
détronés de l'aristocratie vaincue du clergé abattu
et demasqué, de la terre vengée et du ciel satisfait. En attendant
cette heure de la fraternité universelle faisons de nouveau retentir
qui a tant de fois rallié nos armées à la victoire et
qui pourra les y rallier encor, car qui sait si la France n'a pas à
appeler ses enfants sur de nouveaux champs de lauriers. Vive la République.
Amis de la liberté, âmes magnanimes, coeurs tendres, vous qui
sauriez mourir pour votre indépendance et qui ne voulez vivre que
pour vos frères, prétez l'oreille à mes accents. Venez
entendre comment quelques hommes nés dans un beau pays , mais au milieu
d'un peuple courbé sous la verge d'un oppresseur, sont parvenus par
leurs discours à relever ce peuple abattu, à lui donner un
nouvel être, l'instruire enfin de ses droits, droits sacrés
inalienables que la nation avait révélés mais dont
l'ignorance et le despotisme ont fait longtemps un secret. Ces hommes, fils
de la nation ont proclamé les lois de leur mère, ont armé
tout un peuple pour les soutenir et après quelques heures de combat
ont fait surgir de notre France opprimée la République que
nous inaugurons aujourd'hui. s'il est des hommes qui méritent notre
estime et notre amour ce sont sans doute les dignes membres du gouvernement
provisoire qui pendant deux mois et demi ont gouverné avec tant de
sagesse et d'energie notre belle nation, ont rempli le vide immense qui existait
entre une royauté écroulée et une république
à assoir, ont sacrifié leur fortune et leur vie pour le bien
etre de tous, proclamé ces beaux messages d'egalité et de
fraternité et qui par la seule arme de la parole ont maintenu dans
l'ordre un peuple fumant encore de l'ardeur des barricades. Voyez surtout
entre tous ce sincère démocrate au front sévère,
au regard serein, mais terrible faire retentir aux oreilles d'une auguste
princesse levant les mains au ciel et présentant ses deux enfants
en signe de pitié, ces mots terribles « Il est trop tard. »et
décréter la souveraineté du peuple. Voyez le gouverner
par sa seule éloquence et l'énergie de ses discours tout
l'intérieur de la France et poser dans trois semaines, les principes
du suffrage universel déclarés trois mois auparavant impossibles.
De combien de reconnaissance et d'amour, des coeurs vraiment sincères
ne doivent-il pas etre pénétrés par tant de bienfaits.
Et cependant ce digne citoyen qui a si bien mérité de la patrie
est attaqué par la langue de la calomnie de ses plus poignantes morsures.
Nos ennemis disent qu'il veut couvrir la France d'échafauds,
lorsqu'il proclame la liberté et l'égalité et qu'il
abolit la peine de mort, on le fait l'émule de Marat et de Robespierre,
on le traite de tyran et il pardonne à ses ennemis et abolit
l'esclavage, il est appelé dictateur ennemi de l'état et de
la paix et il proclame la fraternité universelle. Que pouvaient nous
répondre, citoyens, ces êtres rampants qui ne veulent être
esclaves que pour en avoir eux-mêmes, à ces hypocrites qui
approuvent tout au jour et fomentent à l'ombre, repétons-leur
ces paroles que Jésus le premier qui ait proclamé la
fraternité universelle disait aux scribes et aux pharisiens : «
Race de vipères, que pourriez vous dire de bonnes choses étant
méchants car c'est de l'abondance du coeur que bouche parle ».
Oui, citoyens c'est de l'abondance de notre coeur que notre bouche parle,
car nous républicains sincères nous parlons sans cesse de la
République et de sa Liberté, de son Egalité et de sa
Fraternité mais que peuvent-ils dire du républicanisme ces
disciples corrompus de Polignac et de Guizot, qui ont la poitrine pétrie
de fleurs de lys où rèvent la régence, qui a-t-il de
commun entre eux et nous ? Voyez nos frères de Paris tout couverts
de haillons, s'en aller pêle-mêle dire au gouvernement Provisoire
: « Nous avons une femme et des enfants, nous souffrons et nous
n'avons point de pain pour appaiser notre faim, pas un toit pour abriter
contre l'orage ». Ils reçoivent cette réponse :Souffrez
patiemment et noblement, consolez vos femmes et vos enfants la république
vous en sera reconnaissante et vous récompensera dans de plus heureux
jours. Voyez le visage pâle, l'air abattu, le front fébrile,
l'exterieur marquant des privations de toute espèce s'en retourner
en se donnant la main et crier :Vive la République . Et nous habitants
de Langlade, dont la plupart vivent au sein des richesses, tous jouissant
d'une libre aisance, qui avons des maisons larges et spacieuses, et des champs
qui nous assurent l'avenir qui pourrions trouver le repas du lendemain avant
celui de la veille et plus de superflu qu'eux du nécéssaire,
pourquoi ne crierions nous pas. Vive la République. Oh alors sans
doute, citoyens, l'esprit de la Liberté ne se serait point
réveillé en nous, les principes de l'Egalité et de la
Fraternité ne seraient point abondans dans nos coeurs, des idées
de privilèges surgiraient dans notre âme, ou peut-etre des
rèves éphémères troubleraient notre imagination
égarée peut-être croirions nous que la République
veut la guerre contre ceux qui possèdent, ecartez ces doutes, elle
veut soulager les pauvres sans dépouiller les riches, elle veut la
fraternité des peuples. Et nous tous, citoyens qui avons le coeur
français et l'âme chrétienne refuserions du pain à
ceux qui en manquent, des consolations à ceux qui souffrent. Non sans
doute. Eh bien alors nous unissant tous par la fraternité, rallions
nous sous ces glorieux drapeaux qui la portent pour devise et que la France
à jamais républicaine trouve toujours en nous de dignes enfants.
Salut et fraternité
Vive la république.
Alexandre Boissier fils
(Puisque la constituante a été libérée par le
gouvernement provisoire, ayant bien mérité de la patrie, joignons
nous à elle pour porter un toast à sa mémoire)
Sources: archives privées de l'auteur.
Livre des sources médiévales: [xyxy]: text sources from the now defunct Arisitum website. Contact Paul Halsall, halsall@murray.fordham.edu if any text is here improperly.