Le Dieu tout-puissant que nous adorons et que nous
    
    
    servons dans nos liens est si plein de tendresse et de bonté, qu'il
    
    
    ne se laisse jamais sans témoignage en bienfaisant à ses enfants.
    
    
    S'il les frappe d'une main, il les soutient en même temps de l'autre,
    
    
    de peur qu'ils ne succombent sous le poids de leurs afflictions. Il multiplie
    
    
    toujours les consolations qu'il leur donne à proportion des maux auxquels
    
    
    il trouve à propos de les exposer, et lors même qu'il est le
    
    
    plus en colère, il se souvient pourtant d'avoir compassion. 
             C'est ce que nous avons éprouvé en une
      
      
      infinité de manières, durant le cours de notre triste esclavage;
      
      
      mais c'est ce que nous avons éprouvé d'une façon
      
      
      particulière, à l'égard de nos nécessités
      
      
      corporelles et extérieures; car quelque indignes que nous soyons des
      
      
      bontés de ce divin Créateur et quelques efforts qu'ayant fait
      
      
      nos ennemis pour nous priver de tout secours, la bonne et sage Providence
      
      
      a pourtant toujours eu le soin de pourvoir à nos besoins. Elle a
      
      
      inspiré une ardente charité envers nous à nos chers
      
      
      frères libres, et elle a suscité, d'autre côté,
      
      
      au milieu de nous, de bons fidèles qui ont eu la charité de
      
      
      s'employer pour le bien et pour le soulagement de notre société
      
      
      enchaînée. 
     Dès le commencement de notre captivité,
      
      
      les illustres martyrs de glorieuse mémoire, MM. Kervenod de
      
      
      l'Aubonnière et de la Cantinière-Barraud, conjointement avec
      
      
      l'illustre M. Pierre Butaud de Lençonniére, nous ont procuré
      
      
      divers secours qui nous ont été d'un grand usage pour
      
      
      l'adoucissement de nos peines. Le zèle de M. Kervenod s'est même
      
      
      quelquefois étendu jusques à nous faire part de ses biens propres.
      
      
      C'est le juste témoignage que nous devons rendre à sa
      
      
      piété. 
     Ces fidèles ne pensèrent pas pour lors
      
      
      à établir des règlements entre eux, soit parce que le
      
      
      nombre des confesseurs étant encore fort petit, il n'étoit
      
      
      pas difficile de faire les choses avec exactitude; soit parce que n'ayant
      
      
      pas pu lier beaucoup de commerces, les subventions qu'ils recevoient
      
      
      n'étoient pas bien grandes, et qu'ils pouvoient les distribuer de
      
      
      la main à la main. Mais enfin le nombre de nos enchaînés
      
      
      s'étant extrêmement multiplié, les libéralités
      
      
      de nos frères libres étant devenues plus fréquentes
      
      
      et plus nombreuses; et après le décès de MM. Kervenod
      
      
      et de Barraud, les glorieux martyrs d'heureuse mémoire, M. Pierre
      
      
      Mauru, l'illustre M. Elie Néau, qui a été depuis peu
      
      
      délivré de ses liens, et les sieurs Pierre, David et Jean Serres,
      
      
      s'étant joints ensemble à l'illustre M. Pierre Butaud de
      
      
      Lençonnière pour travailler avec lui de concert aux affaires
      
      
      de notre Eglise souffrante, ils trouvèrent à propos d'établir
      
      
      entre eux de certaines règles pour servir de direction à leurs
      
      
      actions et à leur conduite, et de fondement à la juste confiance
      
      
      qu'ils vouloient avoir les uns dans les autres. 
     C'est par le moyen de ces règles qu'ils se sont
      
      
      longtemps gouvernés sagement, avec droiture, dans les devoirs de leur
      
      
      employ. Nous devons aussi rendre de bon témoignage à ces bons
      
      
      fidèles, que pendant que Dieu a trouvé à propos de les
      
      
      conserver au milieu de nous, ils ont rendu de très grands et de très
      
      
      considérables services à notre Société captive,
      
      
      et nous devons avouer, avec louange et avec reconnaissance, que nous avons
      
      
      de très grandes et de très fortes obligations à leur
      
      
      vigilence et à leur zèle, soit à l'égard des
      
      
      soulagements corporels qu'ils nous ont procurés et dispensés,
      
      
      soit par rapport à la charité qu'ils ont eue de redresser et
      
      
      de censurer ceux de nos frères qui tomboient dans quelque faute et
      
      
      qui s'équartoient de la pureté et de la sainteté de
      
      
      l'Evangile de Jésus-Christ, notre adorable Sauveur et Maître. 
     Mais enfin, le violent orage qui a soufflé ces
      
      
      dernières années avec tant de fureur sur notre pauvre nacelle
      
      
      flottante, ayant poussé et porté de ces pauvres et chers
      
      
      athlètes dans des tristes cachots, et les mémoires ou comptes
      
      
      de leurs distributions qu'ils devoient envoyer à nos bienfaiteurs
      
      
      ayant eu le malheur d'être surpris et de tomber entre les mains de
      
      
      nos persécuteurs, l'ordre qu'ils avoient établi et qu'ils
      
      
      observoient a demeuré interrompu jusqu'à présent, d'autant
      
      
      plus que Dieu ayant retiré presque dans ce même temps M. Pierre
      
      
      Mauru dans son paradis, pour couronner sa fidélité et ses combats,
      
      
      les sieurs Pierre et Jean Serres sont restés seuls de ces 6 alloués. 
     Ces deux derniers amis, que nous possédons encore,
      
      
      ont eut la charité de nous continuer leurs soins, autant que leur
      
      
      a été possible, du milieu des horreurs de la tempête,
      
      
      et il est vrai que le sieur Pierre Serres, qui avoit le soin des subventions
      
      
      et distributions, a tâché de suppléer au défaut
      
      
      de précaution qu'on avait accoutumé de prendre en faisant signer
      
      
      les comptes avant que de les envoyer aux auteurs des bénéficences,
      
      
      par MM. Valette et Dubuy, son cadet et quelquefois par M. Elie Maurin, qui
      
      
      même a eu la bonté de lui aider à distribuer les sommes,
      
      
      lorsqu'ils l'ont pu, et en leur communiquant d'autre part les lettres d'avis
      
      
      qu'il recevoit, de sorte qu'il y a lieu de croire que cette conduite a
      
      
      été suffisante pour témoigner de la vérité
      
      
      et de la fidélité, avec laquelle il a dispensé les
      
      
      libéralités qui lui ont été confiées,
      
      
      par ceux qui ont la charité de recréer nos entrailles
      
      
      asséchées. 
     Mais puisqu'enfin la bonne et sage Providence nous
      
      
      a donné un assez grand calme, et que par un effet de son infinie
      
      
      miséricorde, elle nous fait jouir présentement d'une assez
      
      
      grande liberté dans notre esclavage; puisque d'ailleurs l'illustre
      
      
      M. Calandrin, professeur en théologie, a pris la peine d'écrire
      
      
      pour exhorter quelques-uns d'entre nous pour se joindre aux sieurs Pierre
      
      
      et Jean Serres et à quelques autres bons fidèles, afin de leur
      
      
      aider et de les soulager dans les soins des affaires de notre communauté
      
      
      opprimée, nous avons jugé très nécessaire et
      
      
      très convenable, avant que d'entrer dans cette nouvelle
      
      
      Société, de rétablir de nouveaux ordres semblables ou
      
      
      équivalents à ceux qui ont été perdus, afin de
      
      
      pouvoir agir de concert et avec prudence, et de pouvoir, par notre exactitude
      
      
      et la fidélité de notre administration, rendre notre conduite
      
      
      approuvée et devant Dieu et devant les hommes. 
     Et parce que le nombre des confesseurs est
      
      
      présentement fort grand, et qu'il n'est presque pas possible que parmi
      
      
      cette multitude, il n'y ait quelque déréglé, nous avons
      
      
      trouvé à propos d'adjoindre à ces règlements
      
      
      qui concernent précisément les distributions, quelques autres
      
      
      articles de discipline qui puissent servir de frein pour faire réprimer
      
      
      les désordres et les égarements des libertins qui se pourroient
      
      
      trouver parmi nous. 
     Outre que cet ordre que nous observons servira à
      
      
      nous mettre à couvert des calomnies et des médisances des faux
      
      
      frères et des esprits malins et envieux, il contribuera d'autre part
      
      
      à l'avancement de la gloire de Dieu, à l'édification
      
      
      de toute l'Eglise, et à attirer les bénédictions du
      
      
      ciel sur nous et sur toute l'oeuvre de nos mains. Il pourra même servir
      
      
      à convaincre les ennemis de la vérité, parmi lesquels
      
      
      nous vivons, de l'injustice qu'ils nous font en nous haïssant et en
      
      
      nous persécutant sans cause, de sorte qu'en faisant luire notre
      
      
      lumière devant eux, nous pourrons les porter à glorifier Dieu,
      
      
      notre Père, qui est dans les cieux. 
     Enfin, nous devons espérer que tout cela contribuera
      
      
      beaucoup à répandre la bonne odeur de nos chaînes et
      
      
      de nos souffrances dans toutes les Eglises du Seigneur, à nous
      
      
      acquérir de plus en plus l'affection et la bienveillance de tous nos
      
      
      bienfaiteurs, et à les engager à nous continuer jusques à
      
      
      la fin leurs charitables soins et les précieux effets de leurs
      
      
      libéralités et de leur bénéficence. C'est donc
      
      
      sur ce fondement que nous venons de poser, que nous dresserons les articles
      
      
      suivants, lesquels nous promettons, en la présence de Dieu, d'observer
      
      
      religieusement, exactement et dans toute la droiture de notre coeur, du moins
      
      
      pendant que la tranquillité dont nous jouissons présentement
      
      
      nous le pourra permettre. 
     Avant que de proposer nos règles, nous devons
      
      
      remarquer ici, que le sieur Jean Serres étant maintenant assez
      
      
      occupé par des affaires particulières qui regardent l'utilité
      
      
      et la consolation de deux de nos illustres reclus, il nous a instamment
      
      
      priés de le dispenser et de le décharger du soin des affaires
      
      
      générales de notre communauté, de sorte que quelque
      
      
      instance que nous lui ayons fait pour l'engager à continuer dans ses
      
      
      premiers emplois, nous n'avons pas pu l'obliger à y consentir, c'est
      
      
      pourquoi nous avons été dans l'obligation de substituer à
      
      
      sa place M. Abel d'Amoin qui est un très bon et très pieux
      
      
      confesseur. 
     Après cette petite remarque, nous fairons suivre
      
      
      nos règlements. 
     I. Premièrement, nous, Abel d'Amouin, André
      
      
      Valette, Elie Maurin, Jean-Baptiste Bancilhon, Jean Musseton, Pierre
      
      
      Carrière et Pierre Serres, ayant un désir sincère de
      
      
      glorifier le saint nom de Dieu, d'édifier l'Eglise de Jesus-Christ,
      
      
      et de contribuer au bien de nos chers frères enchaînés,
      
      
      promettons de faire chacun de son côté tout ce qu'il sera en
      
      
      notre pouvoir pour la consolation, pour l'instruction, pour l'affermissement
      
      
      et pour le soulagement de notre communauté affligée. Et parce
      
      
      que, dans le triste état où nous sommes réduits par
      
      
      un juste jugement de Dieu, qui a trouvé à propos de nous mettre
      
      
      dans le creuset de l'affliction pour nous purifier de nos souillures, nous
      
      
      devons nous servir mutuellement de pasteurs l'un à l'autre, suivant
      
      
      l'exhortation que saint Paul nous fait de veiller les uns sur les autres,
      
      
      pour nous inciter à la charité et aux bonnes oeuvres, nous
      
      
      nous engageons, dans un esprit de charité, à veiller soigneusement
      
      
      sur la conduite de tout notre corps souffrant, pour reprendre et corriger
      
      
      les vicieux, pour encourager et fortifier les foibles et les chancelans,
      
      
      pour consoler les malades et ceux qui seront extraordinairement
      
      
      persécutés, et pour retrancher les lâches et les scandaleux,
      
      
      afin que Dieu qui nous a donné gratuitement, non seulement de croire
      
      
      en Christ, mais aussi de souffrir pour lui, soit autant glorifié par
      
      
      la pureté de nos moeurs et par notre constance que par notre souffrance
      
      
      et nos liens. 
     II. Tous ceux qui ne font pas profession ouverte de
      
      
      notre sainte religion, mais qui détiennent lâchement la
      
      
      vérité en injustice, sous prétexte d'avoir leur
      
      
      liberté en temporisant ou par quelqu'autre motif qui se puisse, seront
      
      
      absolument retranchés de notre Société et regardés
      
      
      comme des lâches qui ont honte de Jesus-Christ dans son abaissement
      
      
      et sur sa croix, quelque bien qu'ils nous puissent faire d'ailleurs et quelque
      
      
      belle parole qu'ils nous puissent donner. Cependant on attendra leur retour
      
      
      pour l'embrasser avec zèle (sic), lorsqu'il sera sincère et
      
      
      suivi des preuves chrétiennes de leur foi et de leur repentance. 
     III. S'il y en a quelques-uns qui, par infirmité
      
      
      ou par la crainte des tourmens, ne fassent pas entièrement leurs devoirs,
      
      
      comme, par exemple, de découvrir la tête pendant qu'on fait
      
      
      le service divin (la messe), sans pourtant fléchir le genoux, pourvu
      
      
      que d'ailleurs ils n'ayent pas renoncé notre sainte religion et qu'ils
      
      
      ne soient pas engagés dans d'autres foiblesses incompatibles avec
      
      
      les devoirs d'un bon confesseur et d'un bon chrétien, ils seront
      
      
      supportés avec charité et regardés comme frères,
      
      
      en attendant l'oeuvre parfaite du Seigneur; et cependant nous fairons ce
      
      
      qui dépendra de nous pour les porter, par nos exhortations, à
      
      
      tendre vers la perfection chrétienne et préférer la
      
      
      crainte de Dieu qui peut tuer le corps et l'âme, à la crainte
      
      
      des hommes, qui ne peuvent nous arracher un cheveu de la tête sans
      
      
      sa permission. 
     IV. S'il y en a parmi nous qui se disent de nos
      
      
      frères et qui ne gardent point les préceptes que Jesus-Christ
      
      
      nous fait dans son saint Evangile, mais qu'ils soient adonnés à
      
      
      la profanation et au mépris ouvert des commandements de Dieu, comme
      
      
      de n'observer point le jour du repos, ou qui soient ivrognes d'habitude,
      
      
      contentieux, gardant haine pour leurs frères, vivant dans le vice
      
      
      et sans dévotion, et qui causent du scandale au corps de Christ, ceux
      
      
      d'entre nous qui en serons les premiers avertis prendront le soin de les
      
      
      reprendre et de les censurer en particulier, pour tâcher de les ramener
      
      
      à la pratique de leur devoir. Mais si, après diverses exhortations,
      
      
      ils continuent de mépriser les avis de ceux qui les reprendront
      
      
      fraternellement, et qu'ils s'obstinent à persévérez
      
      
      dans leurs désordres et dans leur mauvaise conduite, on leur déclare
      
      
      qu'ils seront dénoncés à toute notre société,
      
      
      qu'ils seront retranchés et séparés de notre corps,
      
      
      privés de tous les secours qu'ils pourront attendre de notre part,
      
      
      jusqu'à ce qu'ils donnent des témoignages assurés de
      
      
      leur repentance et de leur amendement, et qu'enfin ils seront
      
      
      considérés comme des profanes qui, reniant par leurs oeuvres
      
      
      le Dieu qu'ils font profession de connoître, sont par conséquent
      
      
      indignes de porter le glorieux nom de confesseur, et cela principalement
      
      
      afin que nos adversaires ne prennent pas occasion d'insulter à notre
      
      
      sainte religion en lui imputant les crimes des particuliers. 
     V. Lorsque nous saurons que sur une galère il
      
      
      y a quelqu'un de nos frères ignorant et mal instruit, nous chargerons
      
      
      celuy de la galère qui sera le plus éclairé de parler
      
      
      en particulier à cet ignorant, le plus souvent qu'il lui sera possible,
      
      
      pour l'instruire des principaux points de la doctrine céleste que
      
      
      nous proffessons, afin d'ôter d'un côté à nos ennemis
      
      
      le prétexte de nous reprocher, comme ils font quelquefois, que nous
      
      
      ne souffrons pour notre religion que par entêtement ou sans connoissance
      
      
      de cause, et de mettre d'autre part les ignorans en état de pouvoir
      
      
      travailler plus efficacement à leur propre salut. Si l'on peut même
      
      
      faire enseigner à lire ceux qui ne savent pas, lors qu'ils
      
      
      séjourneront dans le Port, en donnant quelque chose à celui
      
      
      qui voudra se charger de les apprendre, en l'absence de nos exacteurs, on
      
      
      prendra, sur les deniers du commun, ce qui sera nécessaire pour cet
      
      
      effet. Et si, du reste, ceux qui sont ainsi plongés dans l'ignorance
      
      
      vouloient refuser opiniâtrement de s'instruire, soit par
      
      
      fénéantise, soit pour s'attacher à des occupations frivoles
      
      
      et de peu de conséquence, on les privera d'une partie ou même
      
      
      de tout le soulagement qu'on avoit accoutumé de leur donner, jusques
      
      
      à ce qu'ils se soumettent à leur devoir. 
     VI. Quand quelqu'un de nos frères sera tombé
      
      
      malade sur une galère, celui d'entre nous qui en aura le plus de
      
      
      commodité et de liberté tâchera de l'aller visiter avant
      
      
      qu'on le mène à l'hôpital, tant pour le consoler du mieux
      
      
      qu'il se pourra par rapport à son état, que pour l'encourager
      
      
      et le munir un peu fortement contre les attaques, suggestions pernicieuses
      
      
      des esprits séducteurs et des prêtres qui se tiennent ordinairement
      
      
      dans cette maison. Au surplus, nous aurons un soin très particulier
      
      
      de soulager ceux qui seront ainsi affligés de maladie. 
     VII. Il est surtout juste de remédier très
      
      
      particulièrement au soin de ceux qui persévèrent à
      
      
      glorifier Dieu par leur fermeté, par leur zèle, par leurs bonnes
      
      
      oeuvres, comme étant ceux qu'on doit considérer et estimer
      
      
      le plus et pour lesquels on doit avoir plus d'égard. Et comme les
      
      
      exemples de leur foi, de leur patience, de leur piété, de leur
      
      
      courage et de leur constance peuvent être d'une très grande
      
      
      édification pour l'Eglise d'àprésent et pour celle des
      
      
      siècles àvenir, on dressera par écrit des Mémoires
      
      
      de leur vie, principalement de leurs actions remarquables et édifiantes,
      
      
      selon l'ordre que l'illustre et charitable M. Calandrin nous en a donné.
      
      
      Pour cet effet, MM. Elie Maurin et Baptiste Bancillon seront chargés
      
      
      de ce soin, comme étant les deux plus propres pour travailler exactement
      
      
      à cet ouvrage. Cependant, ils n'envoyeront pas les dits Mémoires
      
      
      avant que de les avoir communiqués à ceux qui s'employent avec
      
      
      eux à l'oeuvre du Seigneur, afin de prévenir les fautes qui
      
      
      s'y pourroient glisser. 
     VIII. Au reste, afin que tous nos frères sans
      
      
      exception puissent être soulagés avec exactitude, nous croyons
      
      
      qu'il est très nécessaire qu'il y en ait deux d'entre nous
      
      
      qui se chargent du soin de faire les distributions, en s'assignant chacun
      
      
      la moitié des galères pour dispenser à nos chers compagnons
      
      
      d'affliction ce dont ils auront besoin, par rapport aux occurences des tems
      
      
      et aux moyens qu'il aura plu à Dieu de nous mettre en main et
      
      
      conformément aux intentions de nos bienfaiteurs. Ces deux personnes
      
      
      seront MM. Valette et Carrière, lesquels, recevant les subventions,
      
      
      les distribueront exactement et fidèlement à ceux à
      
      
      qui elles sont destinées par ceux qui les envoyent, et ils en dresseront
      
      
      des comptes exacts qui seront examinés par MM. Baptiste Bancillon,
      
      
      Jean Musseton et Pierre Serres et signés par les mêmes examinateurs
      
      
      pour plus ample assurance de ceux à qui ils seront envoyés.
      
      
      Et afin qu'il ne naisse aucune difficulté dans l'esprit de personne,
      
      
      nous déclarons que tous les comptes qui ne seront pas attestés
      
      
      par les seings de ces Messieurs seront tenus pour nuls et sans valeur. 
     IX. Et pour agir avec ordre dans l'administration des
      
      
      bénéficences, pour nous assurer qu'elles sont dispensées
      
      
      avec fidélité et exactitude à un chacun, et pour aller
      
      
      au-devant des abus qui s'y pourroient glisser, MM. Jean-Baptiste Bancillon,
      
      
      Jean Musseton et Pierre Serres seront chargés de prendre une exacte
      
      
      connoissance de l'emploi qu'il s'en fera, soit pour s'informer si les subventions
      
      
      sont fidèlement dispensées par les chefs de chaque galère
      
      
      à leurs frères, soit aussi pour prendre garde que les dites
      
      
      subventions ne soient point employées, sous quelque prétexte
      
      
      que ce soit, à des choses inutiles, mais que ceux qui embrassent
      
      
      l'intérêt du public et qui sont obligés de faire des
      
      
      frais ne le fassent que dans des choses nécessaires et utiles à
      
      
      la communauté. Pour cet effet, lorsque quelqu'un d'entre nous aura
      
      
      besoin de quelque peu d'argent, soit pour remédier à ses
      
      
      nécessités particulières, soit pour fournir aux frais
      
      
      des affaires communes dont il sera chargé, il ne pourra prendre ce
      
      
      qui lui sera nécessaire qu'après en avoir demandé la
      
      
      permission et en avoir obtenu le consentement de ses associés, à
      
      
      moins que ce ne fût dans une occasion extrêmement pressante et
      
      
      qui ne permît pas d'observer ces formalités; et, même
      
      
      en ce cas, il sera obligé de le déclarer dans la suite, le
      
      
      plus tôt qu'il se pourra. 
     X. Et comme notre communauté est
      
      
      considérablement augmentée par les nouveaux venus d'Orange,
      
      
      qu'il s'agit de leur procurer des soulagemens de même qu'aux autres,
      
      
      pour adoucir leurs peines, et que, pour cet effet, on est d'obligation
      
      
      d'écrire en divers endroits, comme en Angleterre, Hollande, Allemagne,
      
      
      Suisse et France, où Dieu, par son infinie bonté, nous fait
      
      
      trouver des personnes pleines de piété et de charité,
      
      
      qui veuillent bien nous rompre leur pain et qui s'intéressent beaucoup,
      
      
      tant pour nous procurer les secours dont nous avons si grand besoin, que
      
      
      pour procurer l'affranchissement de nos liens, Nous, susnommés Abel
      
      
      d'Amoin, André Valette, Baptiste Bancillon, Jean Musseton, Pierre
      
      
      Carrière et Pierre Serres, sommes convenus et demeurés d'accord
      
      
      de nous charger du soin d'écrire pour l'intérêt du commun
      
      
      des confesseurs, de représenter leur état, d'exhorter en leur
      
      
      faveur les personnes charitables pour les porter à leur faire du bien,
      
      
      et d'indiquer des voyes assurées par lesquelles on nous puisse faire
      
      
      tenir les sommes que leur charité trouvera à propos de nous
      
      
      destiner, en quoi nous suivrons les avis que nous a donnés l'illustre
      
      
      M. Elie Néau, qui nous a marqué le désir qu'ont diverses
      
      
      Eglises qu'il a visitées de notre part, tant pour avoir des assurances
      
      
      que les sommes qu'elles nous envoyent nous sont bien parvenues, que pour
      
      
      leur indiquer des voyes par lesquelles on nous puisse faire tenir lesdites
      
      
      sommes en droiture. 
     XI. Mais d'autant qu'il est nécessaire d'observer
      
      
      un ordre dans cette affaire afin que chacun y puisse coopérer exactement
      
      
      et avec promptitude, soit pour répondre ponctuellement et dans le
      
      
      besoin à ceux qui nous écriront, soit pour écrire à
      
      
      ceux à qui on le trouvera à propos de le faire, et que d'ailleurs
      
      
      il est très juste que chacun porte une partie du fardeau, afin que
      
      
      les uns ne soient pas plus fatigués que les autres, si faire se peut,
      
      
      et que chacun ait le tems de vaquer à l'importante affaire de son
      
      
      salut, Nous sommes convenus de prendre chacun un quartier des lieux
      
      
      susnommés, pour y entretenir les correspondances que nous pourrons
      
      
      y avoir et pour vaquer aux affaires qui nous y surviendront. Ainsi, M. Abel
      
      
      d'Amoin, conjointement avec M. André Valette, s'occuperont aux affaires
      
      
      que nous pourrons avoir en France; MM. Jean Musseton et Pierre Carrière
      
      
      auront le soin de celles que nous aurons en Suisse et en Allemagne et MM.
      
      
      Baptiste Bancillon et Pierre Serres seront chargés de celles d'Angleterre
      
      
      et de la Hollande. Cependant nous ne prétendons pas dire par là
      
      
      que ceux qui seront chargés d'écrire dans l'un de ces quartiers
      
      
      ne puissent écrire dans les autres, lorsque leurs affaires
      
      
      particulières ou d'autres raisons les y obligeront, car notre dessein
      
      
      n'est pas d'imposer un joug à personne, mais uniquement de nous soulager
      
      
      les uns les autres. 
     XII. Pour une plus grande preuve et assurance de la
      
      
      sincérité et de la droiture de nos intentions, et pour
      
      
      témoigner clairement que nous avons un véritable dessein de
      
      
      nous acquitter avec fidélité de nos emplois, nous nous engageons
      
      
      à nous communiquer tous mutuellement les lettres d'avis et d'échange
      
      
      que nous recevrons de nos bienfaiteurs, et même toutes les autres qui
      
      
      regardent directement ou indirectement le public: en quoy nous exceptons
      
      
      celles qui pourroient être particulières à celui qui
      
      
      les recevra, et qui ne regarderont expressément et précisément
      
      
      que lui-même et ses propres affaires, auquel cas il ne sera pas
      
      
      obligé de les montrer, s'il ne veut; et d'ailleurs, les lettres qui
      
      
      s'écriront par l'un des associés de chaque quartier seront
      
      
      signées par l'autre, afin que le tout soit fait d'un commun consentement,
      
      
      pour plus grande édification de nos bienfaiteurs. Du reste, il sera
      
      
      permis à chacun de communiquer les lettres qu'il recevra de son quartier
      
      
      à ceux de ses autres amis qu'il trouvera bon, et selon que sa prudence
      
      
      le jugera à propos pour leur consolation: car, comme nous ne
      
      
      prétendons pas forcer personne à montrer les siennes à
      
      
      d'autres qu'à ceux de notre société, s'il ne veut, nous
      
      
      ne prétendons pas non plus empêcher personne de montrer les
      
      
      siennes à qui il lui plaira. Par ceux de notre société,
      
      
      nous entendons en cet endroit ceux qui sont chargés du soin des affaires,
      
      
      et non tout le corps des confesseurs en général, car il y auroit
      
      
      trop de dangers à communiquer cette sorte de lettres à tous
      
      
      les confesseurs, à cause des imprudens, qu'il peut y avoir parmi nous,
      
      
      et des surprises qui pourroient arriver. 
     XIII. Outre cela, MM. d'Amoin, Musseton, Bancillon
      
      
      et Serres, s'engagent et s'obligent très expressément et
      
      
      formellement à consigner exactement et fidèlement toutes les
      
      
      sommes qu'ils recevront entre les mains de MM. Valette et Carrière,
      
      
      pour en faire les pieux et justes usages pour lesquels elles sont destinées
      
      
      par ceux qui en sont les auteurs; et MM. Valette et Carrière s'engagent
      
      
      ainsi très expressément de leur part, comme il a été
      
      
      déjà dit ci-dessus, de dresser des comptes exacts de l'emploi
      
      
      qu'ils feront des dites sommes qui leur seront consignées et qu'ils
      
      
      recevront eux-mêmes, lesquels comptes étant vérifiés
      
      
      et signés par les quatre Messieurs premiers nommés dans cet
      
      
      article, seront envoyés à nos généreux bienfaiteurs,
      
      
      pour leur prouver le bon usage qui aura été fait de leurs
      
      
      bénéficences. 
     XIV. Que si quelqu'un de ceux qui sont chargés
      
      
      d'écrire ou de distribuer venoit à défaillir, soit par
      
      
      mort ou par emprisonnement, l'un de ceux de ses associés qui resteront
      
      
      prendra sa place, pour suppléer à son deffaut, ou bien, si
      
      
      on le trouve à propos, on choisira parmi nos autres frères
      
      
      celui qu'on reconnoîtra être le plus capable de remplir cet emploi.
      
      
      Cependant, lors qu'il s'agira de choisir un successeur, on ne pourra nommer
      
      
      personne expressément et déterminément qu'après
      
      
      qu'on aura recueilli les voix et les avis de tout le restant des associés,
      
      
      afin que celui qui sera élu, l'étant du consentement de tous,
      
      
      personne n'y puisse trouver à redire ni à opposer. 
     XV. Quant au reste, si l'on rencontroit quelqu'un d'entre
      
      
      nous qui vint dans la suite à n'agir pas conformément à
      
      
      ce à quoi nous nous engageons de parole, et par ces règles
      
      
      que nous ratifierons par nos seings, et qu'il vint à violer sciemment
      
      
      et de propos délibéré la promesse expresse que nous
      
      
      faisons devant Dieu d'exécuter tous ces articles dans leur teneur,
      
      
      on le priera bien humblement de se démettre de sa fonction plutôt
      
      
      que de contrevenir à la promesse et à l'ordre qui aura
      
      
      été établi, et plutôt que de causer du trouble
      
      
      à la Société. Mais si, nonobstant la prière qu'on
      
      
      lui fera, il s'opiniâtroit à vouloir exercer son emploi, en
      
      
      n'observant pas les règles que nous venons de poser, on le dénoncera
      
      
      aux bienfaiteurs, en les avertissant de tout ce qui se passe, afin qu'ils
      
      
      prennent leurs mesures là-dessus, et que s'ils le trouvent à
      
      
      propos, ils cessent d'adresser leurs bénéficences à
      
      
      ceux qu'on leur dénonce, du moins après qu'ils auront écrit
      
      
      ici pour s'informer de la vérité des plaintes qu'on fera contre
      
      
      l'accusé. Cependant ce dernier article XVe a besoin d'être
      
      
      modifié et demande une exception: c'est qu'au cas qu'il survint une
      
      
      violente persécution, telle que la dernière que nous avons
      
      
      soufferte, et que nous fussions trop resserrés et trop observés
      
      
      pour pouvoir observer exactement toutes les formalités ci-dessus
      
      
      marquées, on ne sera plus assujetti à ces loix et à
      
      
      la promesse que nous faisons; mais chacun tâchera de travailler de
      
      
      son côté pour le bien de la communauté, selon que sa
      
      
      prudence et les moyens et les occasions que Dieu lui en donnera le lui pourront
      
      
      permettre, en attendant qu'il se puisse communiquer à tous pour agir
      
      
      selon les règles. 
     Au reste, nous supplions très humblement tous
      
      
      ceux de nos frères captifs et compagnons de nos chaînes qui
      
      
      liront et qui verront ceci, de nous faire la justice de croire que nous ne
      
      
      proposons pas ces règlemens dans le dessein de nous acquérir
      
      
      quelqu'espèce d'empire et de domination sur eux, comme si nous
      
      
      prétendions être plus excellens qu'eux et nous les assujettir
      
      
      en quelque chose, mais que nous n'agissons en tout cela que par un pur esprit
      
      
      de charité et dans les vues de contribuer, autant qu'il nous sera
      
      
      possible, au bien de leur corps et à celui de leur âme. 
     Et comme, de notre côté, nous nous engageons
      
      
      de veiller sur leur conduite pour les censurer et les reprendre, lors que
      
      
      nous connoîtrons qu'ils s'écarteront de leur devoir, ils peuvent
      
      
      et même ils doivent aussi de leur part veiller soigneusement sur nos
      
      
      actions et sur nos démarches, pour nous avertir charitablement des
      
      
      deffauts qu'ils remarqueront en nous, leur promettant de profiter de leurs
      
      
      censures, lors qu'elles seront justes et raisonnables. 
     Le principal est de vivre tous de telle manière
      
      
      que nous ne donnions aucun scandale à personne, et que personne ne
      
      
      soit obligé de nous censurer et de nous reprendre. Nous sommes
      
      
      obligés, en tous tems et en toutes sortes d'états, de glorifier
      
      
      Dieu en nos corps et en nos esprits, lesquels lui appartiennent, car c'est
      
      
      le sacrifice qu'il demande de ses enfans; mais il n'y a point de tems ni
      
      
      d'états où nous soyons plus fortement obligés à
      
      
      le glorifier que dans celui où nous nous trouvons. 
     Ce grand Dieu nous a fait la grâce de nous appeler
      
      
      à souffrir pour son saint Nom, et à soutenir les
      
      
      intérêts de sa vérité céleste contre les
      
      
      efforts et les violences de ceux qui tâchent de la détruire:
      
      
      par leurs cruelles et injustes persécutions: nous devons donc faire
      
      
      tous nos efforts pour répondre dignement à ces grands devoirs
      
      
      auxquels il nous a appelés, et pour ne pas nous rendre entièrement
      
      
      indignes du glorieux titre de confesseurs de son saint Nom dont il nous a
      
      
      honorés. 
     Souvenons-nous pour cet effet, qu'à celui a
      
      
      qui aura été le plus donné il sera le plus redemandé,
      
      
      et ne doutons pas que si au lieu de profiter des grandes grâces que
      
      
      Dieu nous faict, nous les changeons malicieusement en dissolution, en les
      
      
      foulant misérablement aux pieds, par un mépris outrageant;
      
      
      ne doutons pas, dis-je, qu'il ne nous punisse très sévèrement
      
      
      et à proportion de l'abus que nous aurons fait de son support, de
      
      
      sa patience et de ses bénédictions; et ne nous imaginons pas,
      
      
      je vous prie, que sous prétexte que nous avons l'honneur de souffrir
      
      
      pour son nom et pour sa vérité, il nous soit permis de vivre
      
      
      de la manière que nous voudrons, sans avoir rien à craindre
      
      
      de la part de sa justice. 
     Ce seroit nous tromper et nous séduire
      
      
      nous-mêmes grossièrement que d'avoir une telle pensée;
      
      
      car, que nous serviroit-il de souffrir pour le nom de Jesus-Christ, si au
      
      
      lieu de souffrir comme chrétiens, nous souffrons comme des malfaiteurs
      
      
      ? Que nous serviroit-il de confesser ce divin Sauveur de bouche, si à
      
      
      même tems nous le renions par nos actions et par une vie profane ?
      
      
      Que nous serviroit-il d'être environnés d'une grande et pesante
      
      
      chaîne, pour l'espérance d'Israël, si, d'un autre
      
      
      côté, par notre libertinage, nos dissolutions, nos querelles
      
      
      et notre indévotion, nous attirions l'opprobre des nations sur
      
      
      l'Israël de Dieu et sur la sainte religion que nous professons, et si
      
      
      nous donnions sujet à nos adversaires de blasphémer son saint
      
      
      Nom, qui est invoqué sur nous. 
     Ne nous y trompons pas; tout cela ne serviroit qu'à
      
      
      aggraver notre jugement, qu'à rendre notre condamnation plus juste
      
      
      et plus inexcusable devant le tribunal sacré de notre souverain et
      
      
      redoutable Juge. Ha ! mes très chers et honorés frères,
      
      
      ouvrons donc enfin les yeux, et revenons de tous nos funestes et tristes
      
      
      égaremens. Relevons nos mains, qui sont lâches, et raffermissons
      
      
      nos genoux, qui sont déjoints; faisons des sentiers droits à
      
      
      nos pieds, afin que ce qui cloche ne se dévoye pas, mais que plutôt
      
      
      il soit remis en son entier. Profitons de la sainte et salutaire exhortation
      
      
      que le prophète Jérémie nous fait dans ses Lamentations;
      
      
      recherchons nos voyes et les sondons, et retournons jusques à l'Eternel.
      
      
      Levons nos coeurs avec les mains au Dieu fort qui est aux cieux, disant:
      
      
      « Nous avons parfait, nous avons été rebelles, et c'est
      
      
      pourquoi tu n'as point pardonné ! ». 
     En effet, mes très chers frères, il n'y
      
      
      a que nos rebellions, nos ingratitudes et nos injustices qui soient la
      
      
      véritable cause des terribles afflictions que nous éprouvons
      
      
      depuis si longtems. Il n'y a que nos impiétés et nos transgressions
      
      
      qui ayent attiré et qui attirent encore sur nos têtes criminelles
      
      
      ces épouvantables fléaux de la colère de Dieu qui nous
      
      
      accablent et sous le poids desquels nous gémissons si amèrement:
      
      
      il n'y a que nos désordres et nos dérèglemens qui soient
      
      
      la juste cause du retardement de cette délivrance après laquelle
      
      
      nous soupirons si ardemment; car, du reste, la main de Dieu n'est point
      
      
      raccourcie qu'elle ne puisse délivrer, et son oreille n'est point
      
      
      devenue pesante qu'elle ne puisse ouïr: mais ce sont nos iniquités
      
      
      qui ont fait séparation entre nous et notre souverain Seigneur, et
      
      
      nos péchés qui ont fait qu'il a caché sa face arrière
      
      
      de nous, afin qu'il ne nous écoute pas, selon que le prophète
      
      
      Esaïe nous le déclare dans ses Révélations. 
     Entrons donc dans nos propres coeurs, pour en retrancher
      
      
      l'interdit qui y est malheureusement caché, et soyons persuadés
      
      
      que si nous renonçons sincèrement à nos péchés,
      
      
      Dieu renoncera aussi à sa colère, et mettra bas les verges
      
      
      dont il nous frappe avec tant de sévérité. Si nous nous
      
      
      convertissons de tout notre coeur à lui, ce bon Dieu se retournera
      
      
      enfin vers nous, et, se laissant toucher et fléchir par les larmes
      
      
      de notre repentance et par les soupirs de nos âmes affligées,
      
      
      il nous accordera sa grâce, sa bénédiction, sa protection
      
      
      paternelle, et cette liberté de nos corps que nous lui demandons avec
      
      
      tant d'instance et que nous recherchons avec tant d'empressement. 
     Mais quand même, par des raisons de son infinie
      
      
      sagesse il ne trouveroit pas à propos de nous délivrer et de
      
      
      nous décharger de ces chaînes matérielles que nous portons,
      
      
      et qu'il voudroit permettre que nous finissions nos jours en souffrant pour
      
      
      sa gloire, nous ne devons pas laisser de faire toujours notre devoir, et
      
      
      de nous appliquer avec ardeur et avec zèle à la piété
      
      
      à la vertu et à toutes sortes de bonnes oeuvres, et de rechercher
      
      
      la sanctification sans laquelle nul ne verra le Seigneur. Souvenons-nous
      
      
      que le tems n'est rien, et que l'éternité est notre tout, et
      
      
      que nous devons principalement aspirer à l'éternelle et glorieuse
      
      
      liberté des enfans de Dieu. Nous serons toujours assez libres au milieu
      
      
      de notre esclavage, lors que nous serons dégagés des liens
      
      
      du péché qui nous enveloppe si aisément, et que nous
      
      
      saurons régner sur nous-mêmes et nos propres passions. 
     C'est donc à cela, mes très chers
      
      
      frères et très intimes amis, que nous devons travailler de
      
      
      toutes nos forces et avec toute l'ardeur possible. Renouvelons donc à
      
      
      ce grand Dieu le voeu de notre fidélité et de notre
      
      
      obéissance, en lui promettant de lui être fidèles jusques
      
      
      à la mort. Promettons-lui aussi de le servir en nouveauté de
      
      
      coeur et de vie, en vivant le reste de nos jours avec piété,
      
      
      avec justice et avec tempérance. Veuille lui-même accomplir
      
      
      cette sainte et juste résolution, et produire en nous avec efficace
      
      
      le vouloir et le parfaire selon son bon plaisir, afin qu'après que
      
      
      nous l'aurons glorifié sur la terre, malgré le monde et l'enfer,
      
      
      nous puissions être glorifiés avec lui dans le ciel, pendant
      
      
      toute l'éternité, et être rassasiés de sa glorieuse
      
      
      et divine ressemblance, et de ces joyes ineffables qui sont à sa dextre
      
      
      pour jamais ! 
     Pour la conclusion de ces petits règlemens,
      
      
      nous nous adressons à vous, nos très chers, très
      
      
      généreux et très charitables bienfaiteurs, à
      
      
      vous qui nous avez déjà fait tant de bien, et à qui
      
      
      nous avons déjà de si grandes et de si sensibles obligations.
      
      
      Si vous ignorez encore le bon ordre qui s'observe parmi nous, depuis plusieurs
      
      
      années, pour dispenser vos bénéficences avec exactitude
      
      
      et avec équité, ce petit écrit vous en instruira
      
      
      suffisamment. 
     Nous avons sujet d'espérer que cette connaissance
      
      
      que nous vous donnons aujourd'hui de notre candeur sera un puissant motif
      
      
      pour enflammer de plus en plus votre zèle et votre charité
      
      
      envers nous. Les biens que vous nous avez déjà faits sont
      
      
      très grands, très considérables et très
      
      
      précieux; mais nous osons aussi vous assurer que notre reconnoissance
      
      
      est très grande et très profonde, et que nous la portons aussi
      
      
      loin que des âmes qui ne sont pas tout à fait ingrates sont
      
      
      capables de la porter. Nous osons vous assurer que les voeux ardens que nous
      
      
      présentons à Dieu pour vous tous, se redoublent et se multiplient
      
      
      à proportion que vous multipliez vos bienfaits sur nous. 
     Le sentiment de vos gratuités est déjà
      
      
      gravé dans nos coeurs en caractères inéfaçables,
      
      
      de sorte que nous n'oublierons jamais les précieux et tendres
      
      
      témoignages d'affection et de bonté que nous recevons journellement
      
      
      de votre part. Au reste, très chers et bien-aymés du Seigneur,
      
      
      nous osons vous supplier de ne pas interrompre le cours de vos douces
      
      
      libéralités. Ouvrez-en plutôt tout à fait la source
      
      
      pour les faire couler plus largement sur nos profondes misères et
      
      
      sur nos grandes nécessités. Le besoin que nous en avons est
      
      
      plus grand que jamais; car, outre que notre nombre est considérablement
      
      
      augmenté par les nouveaux venus qui ont été condamnés
      
      
      pour avoir voulu aller entendre la Parole de Dieu à Orange, et par
      
      
      ceux qui viennent souvent des autres endroits du royaume, c'est que nos parens
      
      
      qui sont restés en France n'ont guère plus le moyen de verser
      
      
      du baume sur nos playes, à cause des impôts et des subsides
      
      
      dont on les accable. Nous osons espérer que vous suppléerez
      
      
      charitablement à leur défaut et à leur impuissance,
      
      
      et que, comme nos maux se multiplient de jour en jour, vous multiplierez
      
      
      aussi les remèdes extérieurs qui nous sont nécessaires,
      
      
      pour les adoucir plus abondamment. 
     Vous avez présentement la plus belle occasion
      
      
      que vous ayez jamais eue et que vous puissiez jamais avoir de faire du bien,
      
      
      et de montrer votre foi par vos bonnes oeuvres. Pratiquez donc soigneusement
      
      
      le saint et salutaire conseil que le prophète Daniel donnoit autrefois
      
      
      au roi de Babylone, dans le chapitre IVe de ses Révélations:
      
      
      « Rachetez vos péchés par vos aumônes, et vos
      
      
      iniquités en faisant miséricorde aux pauvres », et ce
      
      
      sera un alongement à votre prospérité. Puisque vous
      
      
      ne pouvez pas faire monter votre bien jusques à l'Eternel, faites-le
      
      
      au moins descendre sur ses saints, et de cette manière vous fairez
      
      
      quelque chose pour ce grand Sauveur de nos âmes, qui, ayant promis
      
      
      de ne laisser pas sans récompense un verre d'eau froide que l'on aura
      
      
      donné à l'un de ses disciples en son nom, récompensera
      
      
      à beaucoup plus forte raison, et beaucoup plus amplement, ce que l'on
      
      
      aura fait pour la consolation et pour le soulagement de ses chers disciples
      
      
      qui souffrent pour justice et pour la deffense de la vérité
      
      
      céleste. 
     Vous n'ignorez pas d'ailleurs, chers et
      
      
      généreux fidèles, ce que nous enseigne le sage Salomon
      
      
      dans la divine morale des Proverbes, que celui qui a pitié du pauvre
      
      
      prête à l'Eternel, qui lui rendra son bienfait. Et quel bonheur,
      
      
      quel grand bonheur, ne sera-ce pas pour vous, chers fidèles, d'avoir
      
      
      prêté vos biens au souverain monarque de tout l'univers, à
      
      
      celui qui est la source et l'auteur de tous les biens, car de lui et par
      
      
      lui sont toutes choses, et qui sans doute vous le rendra avec beaucoup d'usure
      
      
      ! 
     Quel bonheur ne sera-ce pas pour vous de vous être
      
      
      acquis, par le moyen de ces richesses iniques et périssables, un
      
      
      trésor dans le ciel qui ne se rouillera jamais et qu'aucun larron
      
      
      ne pourra vous ravir ! Ah ! ne négligez point, nous vous en conjurons,
      
      
      un si grand et si considérable profit. Ouvrez-nous vos coeurs et vos
      
      
      mains, et Dieu vous ouvrira les entrailles de sa miséricorde pour
      
      
      vous en faire goûter toutes les douceurs et toutes les tendresses;
      
      
      il vous rendra, dès cette vie, dans votre sein une grande mesure de
      
      
      ses bénédictions pressées et entassées, et qu'il
      
      
      répandra par-dessus, et il vous couronnera un jour dans son ciel de
      
      
      toute la gloire de son immortalité bienheureuse. 
     Faites au reste, s'il vous plaît, quelques
      
      
      réflexions sur l'excès et sur la longueur de nos souffrances
      
      
      et de nos misères, et il ne sera pas possible que ce triste objet
      
      
      n'excite fortement toutes vos compassions envers nous. Il n'est pas
      
      
      nécessaire que je vous en fasse ici une description, vous ne les ignorez
      
      
      pas, car le seul mot de galère comprend tout ce qu'il y a de plus
      
      
      pénible et d'accablant, à quoi l'on joint, pour surcroît,
      
      
      l'inhumanité et l'injustice à cause de la profession de la
      
      
      vérité. Nous dirons seulement que c'est ici la quatorzième
      
      
      année de l'esclavage de plusieurs d'entre nous, et que du reste nos
      
      
      peines et nos douleurs surpassent, sans peut-être exagérer,
      
      
      toutes les expressions. 
     Nous vous prions encore de vous souvenir de ce que
      
      
      dit le grand Apôtre des Gentils, que celui qui sème chichement
      
      
      recueillera chichement, au lieu que celui qui sème libéralement
      
      
      recueillera libéralement, les cent pour un ne sont rien en comparaison
      
      
      de l'abondante moisson qui vous en reviendra. Mais nous vous prions surtout
      
      
      de vous souvenir de nos tentations et de nos rudes épreuves, et de
      
      
      demander ardemment à Dieu toute la grâce et toute la force dont
      
      
      nous avons besoin pour persévérer constamment jusques à
      
      
      la fin, et pour demeurer plus que victorieux en toutes choses par celui qui
      
      
      nous a aimés. 
     De notre part, nous ne cesserons de supplier le
      
      
      miséricordieux Auteur de tout don parfait qu'il vous tienne un compte
      
      
      exact de toutes les faveurs que vous nous faites, et qu'il vous rende abondamment
      
      
      selon la gratuité dont vous usez envers nous. Nous le prions en
      
      
      particulier qu'il vous fasse ressentir de nouveaux effets de sa bonté
      
      
      et de sa protection paternelle; qu'il vous accorde une nouvelle abondance
      
      
      de ses bénédictions spirituelles et temporelles, et surtout
      
      
      qu'il répande dans vos coeurs pieux et tendres une nouvelle effusion
      
      
      des dons et des grâces de son Saint-Esprit, afin qu'après que
      
      
      vous l'aurez servi le reste de vos jours en nouveauté de coeur et
      
      
      de vie, vous puissiez boire un jour avec lui dans son royaume céleste
      
      
      le vin nouveau et délicieux de l'éternelle et souveraine
      
      
      félicité. Prions-le tous ensemble qu'il nous fasse la grâce
      
      
      de voir en ce nouvel an la paix de sa pauvre Jérusalem et le
      
      
      rétablissement de ses sanctuaires désolés, et
      
      
      qu'enfin, il nous reçoive tous dans les tabernacles éternels,
      
      
      afin que nous l'y puissions glorifier avec les anges et les bienheureux dans
      
      
      tous les siècles des siècles. Amen. 
     Fait à Marseille, sur les galères de
      
      
      France, le vingt-cinq février mille et six cens quatre-vingt-dix-neuf,
      
      
      et le quatorzième de nos souffrance. 
     Signé: Serres, Damouyn, Carrière, Pelecuer,
      
      
      Valette, P. Allix, Bancillon, P. Peraud, Musseton, E. Maurin, D. Gouin, Jean
      
      
      Lardant, Serres le jeune. 
     
  
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