Le Dieu tout-puissant que nous adorons et que nous
servons dans nos liens est si plein de tendresse et de bonté, qu'il
ne se laisse jamais sans témoignage en bienfaisant à ses enfants.
S'il les frappe d'une main, il les soutient en même temps de l'autre,
de peur qu'ils ne succombent sous le poids de leurs afflictions. Il multiplie
toujours les consolations qu'il leur donne à proportion des maux auxquels
il trouve à propos de les exposer, et lors même qu'il est le
plus en colère, il se souvient pourtant d'avoir compassion.
C'est ce que nous avons éprouvé en une
infinité de manières, durant le cours de notre triste esclavage;
mais c'est ce que nous avons éprouvé d'une façon
particulière, à l'égard de nos nécessités
corporelles et extérieures; car quelque indignes que nous soyons des
bontés de ce divin Créateur et quelques efforts qu'ayant fait
nos ennemis pour nous priver de tout secours, la bonne et sage Providence
a pourtant toujours eu le soin de pourvoir à nos besoins. Elle a
inspiré une ardente charité envers nous à nos chers
frères libres, et elle a suscité, d'autre côté,
au milieu de nous, de bons fidèles qui ont eu la charité de
s'employer pour le bien et pour le soulagement de notre société
enchaînée.
Dès le commencement de notre captivité,
les illustres martyrs de glorieuse mémoire, MM. Kervenod de
l'Aubonnière et de la Cantinière-Barraud, conjointement avec
l'illustre M. Pierre Butaud de Lençonniére, nous ont procuré
divers secours qui nous ont été d'un grand usage pour
l'adoucissement de nos peines. Le zèle de M. Kervenod s'est même
quelquefois étendu jusques à nous faire part de ses biens propres.
C'est le juste témoignage que nous devons rendre à sa
piété.
Ces fidèles ne pensèrent pas pour lors
à établir des règlements entre eux, soit parce que le
nombre des confesseurs étant encore fort petit, il n'étoit
pas difficile de faire les choses avec exactitude; soit parce que n'ayant
pas pu lier beaucoup de commerces, les subventions qu'ils recevoient
n'étoient pas bien grandes, et qu'ils pouvoient les distribuer de
la main à la main. Mais enfin le nombre de nos enchaînés
s'étant extrêmement multiplié, les libéralités
de nos frères libres étant devenues plus fréquentes
et plus nombreuses; et après le décès de MM. Kervenod
et de Barraud, les glorieux martyrs d'heureuse mémoire, M. Pierre
Mauru, l'illustre M. Elie Néau, qui a été depuis peu
délivré de ses liens, et les sieurs Pierre, David et Jean Serres,
s'étant joints ensemble à l'illustre M. Pierre Butaud de
Lençonnière pour travailler avec lui de concert aux affaires
de notre Eglise souffrante, ils trouvèrent à propos d'établir
entre eux de certaines règles pour servir de direction à leurs
actions et à leur conduite, et de fondement à la juste confiance
qu'ils vouloient avoir les uns dans les autres.
C'est par le moyen de ces règles qu'ils se sont
longtemps gouvernés sagement, avec droiture, dans les devoirs de leur
employ. Nous devons aussi rendre de bon témoignage à ces bons
fidèles, que pendant que Dieu a trouvé à propos de les
conserver au milieu de nous, ils ont rendu de très grands et de très
considérables services à notre Société captive,
et nous devons avouer, avec louange et avec reconnaissance, que nous avons
de très grandes et de très fortes obligations à leur
vigilence et à leur zèle, soit à l'égard des
soulagements corporels qu'ils nous ont procurés et dispensés,
soit par rapport à la charité qu'ils ont eue de redresser et
de censurer ceux de nos frères qui tomboient dans quelque faute et
qui s'équartoient de la pureté et de la sainteté de
l'Evangile de Jésus-Christ, notre adorable Sauveur et Maître.
Mais enfin, le violent orage qui a soufflé ces
dernières années avec tant de fureur sur notre pauvre nacelle
flottante, ayant poussé et porté de ces pauvres et chers
athlètes dans des tristes cachots, et les mémoires ou comptes
de leurs distributions qu'ils devoient envoyer à nos bienfaiteurs
ayant eu le malheur d'être surpris et de tomber entre les mains de
nos persécuteurs, l'ordre qu'ils avoient établi et qu'ils
observoient a demeuré interrompu jusqu'à présent, d'autant
plus que Dieu ayant retiré presque dans ce même temps M. Pierre
Mauru dans son paradis, pour couronner sa fidélité et ses combats,
les sieurs Pierre et Jean Serres sont restés seuls de ces 6 alloués.
Ces deux derniers amis, que nous possédons encore,
ont eut la charité de nous continuer leurs soins, autant que leur
a été possible, du milieu des horreurs de la tempête,
et il est vrai que le sieur Pierre Serres, qui avoit le soin des subventions
et distributions, a tâché de suppléer au défaut
de précaution qu'on avait accoutumé de prendre en faisant signer
les comptes avant que de les envoyer aux auteurs des bénéficences,
par MM. Valette et Dubuy, son cadet et quelquefois par M. Elie Maurin, qui
même a eu la bonté de lui aider à distribuer les sommes,
lorsqu'ils l'ont pu, et en leur communiquant d'autre part les lettres d'avis
qu'il recevoit, de sorte qu'il y a lieu de croire que cette conduite a
été suffisante pour témoigner de la vérité
et de la fidélité, avec laquelle il a dispensé les
libéralités qui lui ont été confiées,
par ceux qui ont la charité de recréer nos entrailles
asséchées.
Mais puisqu'enfin la bonne et sage Providence nous
a donné un assez grand calme, et que par un effet de son infinie
miséricorde, elle nous fait jouir présentement d'une assez
grande liberté dans notre esclavage; puisque d'ailleurs l'illustre
M. Calandrin, professeur en théologie, a pris la peine d'écrire
pour exhorter quelques-uns d'entre nous pour se joindre aux sieurs Pierre
et Jean Serres et à quelques autres bons fidèles, afin de leur
aider et de les soulager dans les soins des affaires de notre communauté
opprimée, nous avons jugé très nécessaire et
très convenable, avant que d'entrer dans cette nouvelle
Société, de rétablir de nouveaux ordres semblables ou
équivalents à ceux qui ont été perdus, afin de
pouvoir agir de concert et avec prudence, et de pouvoir, par notre exactitude
et la fidélité de notre administration, rendre notre conduite
approuvée et devant Dieu et devant les hommes.
Et parce que le nombre des confesseurs est
présentement fort grand, et qu'il n'est presque pas possible que parmi
cette multitude, il n'y ait quelque déréglé, nous avons
trouvé à propos d'adjoindre à ces règlements
qui concernent précisément les distributions, quelques autres
articles de discipline qui puissent servir de frein pour faire réprimer
les désordres et les égarements des libertins qui se pourroient
trouver parmi nous.
Outre que cet ordre que nous observons servira à
nous mettre à couvert des calomnies et des médisances des faux
frères et des esprits malins et envieux, il contribuera d'autre part
à l'avancement de la gloire de Dieu, à l'édification
de toute l'Eglise, et à attirer les bénédictions du
ciel sur nous et sur toute l'oeuvre de nos mains. Il pourra même servir
à convaincre les ennemis de la vérité, parmi lesquels
nous vivons, de l'injustice qu'ils nous font en nous haïssant et en
nous persécutant sans cause, de sorte qu'en faisant luire notre
lumière devant eux, nous pourrons les porter à glorifier Dieu,
notre Père, qui est dans les cieux.
Enfin, nous devons espérer que tout cela contribuera
beaucoup à répandre la bonne odeur de nos chaînes et
de nos souffrances dans toutes les Eglises du Seigneur, à nous
acquérir de plus en plus l'affection et la bienveillance de tous nos
bienfaiteurs, et à les engager à nous continuer jusques à
la fin leurs charitables soins et les précieux effets de leurs
libéralités et de leur bénéficence. C'est donc
sur ce fondement que nous venons de poser, que nous dresserons les articles
suivants, lesquels nous promettons, en la présence de Dieu, d'observer
religieusement, exactement et dans toute la droiture de notre coeur, du moins
pendant que la tranquillité dont nous jouissons présentement
nous le pourra permettre.
Avant que de proposer nos règles, nous devons
remarquer ici, que le sieur Jean Serres étant maintenant assez
occupé par des affaires particulières qui regardent l'utilité
et la consolation de deux de nos illustres reclus, il nous a instamment
priés de le dispenser et de le décharger du soin des affaires
générales de notre communauté, de sorte que quelque
instance que nous lui ayons fait pour l'engager à continuer dans ses
premiers emplois, nous n'avons pas pu l'obliger à y consentir, c'est
pourquoi nous avons été dans l'obligation de substituer à
sa place M. Abel d'Amoin qui est un très bon et très pieux
confesseur.
Après cette petite remarque, nous fairons suivre
nos règlements.
I. Premièrement, nous, Abel d'Amouin, André
Valette, Elie Maurin, Jean-Baptiste Bancilhon, Jean Musseton, Pierre
Carrière et Pierre Serres, ayant un désir sincère de
glorifier le saint nom de Dieu, d'édifier l'Eglise de Jesus-Christ,
et de contribuer au bien de nos chers frères enchaînés,
promettons de faire chacun de son côté tout ce qu'il sera en
notre pouvoir pour la consolation, pour l'instruction, pour l'affermissement
et pour le soulagement de notre communauté affligée. Et parce
que, dans le triste état où nous sommes réduits par
un juste jugement de Dieu, qui a trouvé à propos de nous mettre
dans le creuset de l'affliction pour nous purifier de nos souillures, nous
devons nous servir mutuellement de pasteurs l'un à l'autre, suivant
l'exhortation que saint Paul nous fait de veiller les uns sur les autres,
pour nous inciter à la charité et aux bonnes oeuvres, nous
nous engageons, dans un esprit de charité, à veiller soigneusement
sur la conduite de tout notre corps souffrant, pour reprendre et corriger
les vicieux, pour encourager et fortifier les foibles et les chancelans,
pour consoler les malades et ceux qui seront extraordinairement
persécutés, et pour retrancher les lâches et les scandaleux,
afin que Dieu qui nous a donné gratuitement, non seulement de croire
en Christ, mais aussi de souffrir pour lui, soit autant glorifié par
la pureté de nos moeurs et par notre constance que par notre souffrance
et nos liens.
II. Tous ceux qui ne font pas profession ouverte de
notre sainte religion, mais qui détiennent lâchement la
vérité en injustice, sous prétexte d'avoir leur
liberté en temporisant ou par quelqu'autre motif qui se puisse, seront
absolument retranchés de notre Société et regardés
comme des lâches qui ont honte de Jesus-Christ dans son abaissement
et sur sa croix, quelque bien qu'ils nous puissent faire d'ailleurs et quelque
belle parole qu'ils nous puissent donner. Cependant on attendra leur retour
pour l'embrasser avec zèle (sic), lorsqu'il sera sincère et
suivi des preuves chrétiennes de leur foi et de leur repentance.
III. S'il y en a quelques-uns qui, par infirmité
ou par la crainte des tourmens, ne fassent pas entièrement leurs devoirs,
comme, par exemple, de découvrir la tête pendant qu'on fait
le service divin (la messe), sans pourtant fléchir le genoux, pourvu
que d'ailleurs ils n'ayent pas renoncé notre sainte religion et qu'ils
ne soient pas engagés dans d'autres foiblesses incompatibles avec
les devoirs d'un bon confesseur et d'un bon chrétien, ils seront
supportés avec charité et regardés comme frères,
en attendant l'oeuvre parfaite du Seigneur; et cependant nous fairons ce
qui dépendra de nous pour les porter, par nos exhortations, à
tendre vers la perfection chrétienne et préférer la
crainte de Dieu qui peut tuer le corps et l'âme, à la crainte
des hommes, qui ne peuvent nous arracher un cheveu de la tête sans
sa permission.
IV. S'il y en a parmi nous qui se disent de nos
frères et qui ne gardent point les préceptes que Jesus-Christ
nous fait dans son saint Evangile, mais qu'ils soient adonnés à
la profanation et au mépris ouvert des commandements de Dieu, comme
de n'observer point le jour du repos, ou qui soient ivrognes d'habitude,
contentieux, gardant haine pour leurs frères, vivant dans le vice
et sans dévotion, et qui causent du scandale au corps de Christ, ceux
d'entre nous qui en serons les premiers avertis prendront le soin de les
reprendre et de les censurer en particulier, pour tâcher de les ramener
à la pratique de leur devoir. Mais si, après diverses exhortations,
ils continuent de mépriser les avis de ceux qui les reprendront
fraternellement, et qu'ils s'obstinent à persévérez
dans leurs désordres et dans leur mauvaise conduite, on leur déclare
qu'ils seront dénoncés à toute notre société,
qu'ils seront retranchés et séparés de notre corps,
privés de tous les secours qu'ils pourront attendre de notre part,
jusqu'à ce qu'ils donnent des témoignages assurés de
leur repentance et de leur amendement, et qu'enfin ils seront
considérés comme des profanes qui, reniant par leurs oeuvres
le Dieu qu'ils font profession de connoître, sont par conséquent
indignes de porter le glorieux nom de confesseur, et cela principalement
afin que nos adversaires ne prennent pas occasion d'insulter à notre
sainte religion en lui imputant les crimes des particuliers.
V. Lorsque nous saurons que sur une galère il
y a quelqu'un de nos frères ignorant et mal instruit, nous chargerons
celuy de la galère qui sera le plus éclairé de parler
en particulier à cet ignorant, le plus souvent qu'il lui sera possible,
pour l'instruire des principaux points de la doctrine céleste que
nous proffessons, afin d'ôter d'un côté à nos ennemis
le prétexte de nous reprocher, comme ils font quelquefois, que nous
ne souffrons pour notre religion que par entêtement ou sans connoissance
de cause, et de mettre d'autre part les ignorans en état de pouvoir
travailler plus efficacement à leur propre salut. Si l'on peut même
faire enseigner à lire ceux qui ne savent pas, lors qu'ils
séjourneront dans le Port, en donnant quelque chose à celui
qui voudra se charger de les apprendre, en l'absence de nos exacteurs, on
prendra, sur les deniers du commun, ce qui sera nécessaire pour cet
effet. Et si, du reste, ceux qui sont ainsi plongés dans l'ignorance
vouloient refuser opiniâtrement de s'instruire, soit par
fénéantise, soit pour s'attacher à des occupations frivoles
et de peu de conséquence, on les privera d'une partie ou même
de tout le soulagement qu'on avoit accoutumé de leur donner, jusques
à ce qu'ils se soumettent à leur devoir.
VI. Quand quelqu'un de nos frères sera tombé
malade sur une galère, celui d'entre nous qui en aura le plus de
commodité et de liberté tâchera de l'aller visiter avant
qu'on le mène à l'hôpital, tant pour le consoler du mieux
qu'il se pourra par rapport à son état, que pour l'encourager
et le munir un peu fortement contre les attaques, suggestions pernicieuses
des esprits séducteurs et des prêtres qui se tiennent ordinairement
dans cette maison. Au surplus, nous aurons un soin très particulier
de soulager ceux qui seront ainsi affligés de maladie.
VII. Il est surtout juste de remédier très
particulièrement au soin de ceux qui persévèrent à
glorifier Dieu par leur fermeté, par leur zèle, par leurs bonnes
oeuvres, comme étant ceux qu'on doit considérer et estimer
le plus et pour lesquels on doit avoir plus d'égard. Et comme les
exemples de leur foi, de leur patience, de leur piété, de leur
courage et de leur constance peuvent être d'une très grande
édification pour l'Eglise d'àprésent et pour celle des
siècles àvenir, on dressera par écrit des Mémoires
de leur vie, principalement de leurs actions remarquables et édifiantes,
selon l'ordre que l'illustre et charitable M. Calandrin nous en a donné.
Pour cet effet, MM. Elie Maurin et Baptiste Bancillon seront chargés
de ce soin, comme étant les deux plus propres pour travailler exactement
à cet ouvrage. Cependant, ils n'envoyeront pas les dits Mémoires
avant que de les avoir communiqués à ceux qui s'employent avec
eux à l'oeuvre du Seigneur, afin de prévenir les fautes qui
s'y pourroient glisser.
VIII. Au reste, afin que tous nos frères sans
exception puissent être soulagés avec exactitude, nous croyons
qu'il est très nécessaire qu'il y en ait deux d'entre nous
qui se chargent du soin de faire les distributions, en s'assignant chacun
la moitié des galères pour dispenser à nos chers compagnons
d'affliction ce dont ils auront besoin, par rapport aux occurences des tems
et aux moyens qu'il aura plu à Dieu de nous mettre en main et
conformément aux intentions de nos bienfaiteurs. Ces deux personnes
seront MM. Valette et Carrière, lesquels, recevant les subventions,
les distribueront exactement et fidèlement à ceux à
qui elles sont destinées par ceux qui les envoyent, et ils en dresseront
des comptes exacts qui seront examinés par MM. Baptiste Bancillon,
Jean Musseton et Pierre Serres et signés par les mêmes examinateurs
pour plus ample assurance de ceux à qui ils seront envoyés.
Et afin qu'il ne naisse aucune difficulté dans l'esprit de personne,
nous déclarons que tous les comptes qui ne seront pas attestés
par les seings de ces Messieurs seront tenus pour nuls et sans valeur.
IX. Et pour agir avec ordre dans l'administration des
bénéficences, pour nous assurer qu'elles sont dispensées
avec fidélité et exactitude à un chacun, et pour aller
au-devant des abus qui s'y pourroient glisser, MM. Jean-Baptiste Bancillon,
Jean Musseton et Pierre Serres seront chargés de prendre une exacte
connoissance de l'emploi qu'il s'en fera, soit pour s'informer si les subventions
sont fidèlement dispensées par les chefs de chaque galère
à leurs frères, soit aussi pour prendre garde que les dites
subventions ne soient point employées, sous quelque prétexte
que ce soit, à des choses inutiles, mais que ceux qui embrassent
l'intérêt du public et qui sont obligés de faire des
frais ne le fassent que dans des choses nécessaires et utiles à
la communauté. Pour cet effet, lorsque quelqu'un d'entre nous aura
besoin de quelque peu d'argent, soit pour remédier à ses
nécessités particulières, soit pour fournir aux frais
des affaires communes dont il sera chargé, il ne pourra prendre ce
qui lui sera nécessaire qu'après en avoir demandé la
permission et en avoir obtenu le consentement de ses associés, à
moins que ce ne fût dans une occasion extrêmement pressante et
qui ne permît pas d'observer ces formalités; et, même
en ce cas, il sera obligé de le déclarer dans la suite, le
plus tôt qu'il se pourra.
X. Et comme notre communauté est
considérablement augmentée par les nouveaux venus d'Orange,
qu'il s'agit de leur procurer des soulagemens de même qu'aux autres,
pour adoucir leurs peines, et que, pour cet effet, on est d'obligation
d'écrire en divers endroits, comme en Angleterre, Hollande, Allemagne,
Suisse et France, où Dieu, par son infinie bonté, nous fait
trouver des personnes pleines de piété et de charité,
qui veuillent bien nous rompre leur pain et qui s'intéressent beaucoup,
tant pour nous procurer les secours dont nous avons si grand besoin, que
pour procurer l'affranchissement de nos liens, Nous, susnommés Abel
d'Amoin, André Valette, Baptiste Bancillon, Jean Musseton, Pierre
Carrière et Pierre Serres, sommes convenus et demeurés d'accord
de nous charger du soin d'écrire pour l'intérêt du commun
des confesseurs, de représenter leur état, d'exhorter en leur
faveur les personnes charitables pour les porter à leur faire du bien,
et d'indiquer des voyes assurées par lesquelles on nous puisse faire
tenir les sommes que leur charité trouvera à propos de nous
destiner, en quoi nous suivrons les avis que nous a donnés l'illustre
M. Elie Néau, qui nous a marqué le désir qu'ont diverses
Eglises qu'il a visitées de notre part, tant pour avoir des assurances
que les sommes qu'elles nous envoyent nous sont bien parvenues, que pour
leur indiquer des voyes par lesquelles on nous puisse faire tenir lesdites
sommes en droiture.
XI. Mais d'autant qu'il est nécessaire d'observer
un ordre dans cette affaire afin que chacun y puisse coopérer exactement
et avec promptitude, soit pour répondre ponctuellement et dans le
besoin à ceux qui nous écriront, soit pour écrire à
ceux à qui on le trouvera à propos de le faire, et que d'ailleurs
il est très juste que chacun porte une partie du fardeau, afin que
les uns ne soient pas plus fatigués que les autres, si faire se peut,
et que chacun ait le tems de vaquer à l'importante affaire de son
salut, Nous sommes convenus de prendre chacun un quartier des lieux
susnommés, pour y entretenir les correspondances que nous pourrons
y avoir et pour vaquer aux affaires qui nous y surviendront. Ainsi, M. Abel
d'Amoin, conjointement avec M. André Valette, s'occuperont aux affaires
que nous pourrons avoir en France; MM. Jean Musseton et Pierre Carrière
auront le soin de celles que nous aurons en Suisse et en Allemagne et MM.
Baptiste Bancillon et Pierre Serres seront chargés de celles d'Angleterre
et de la Hollande. Cependant nous ne prétendons pas dire par là
que ceux qui seront chargés d'écrire dans l'un de ces quartiers
ne puissent écrire dans les autres, lorsque leurs affaires
particulières ou d'autres raisons les y obligeront, car notre dessein
n'est pas d'imposer un joug à personne, mais uniquement de nous soulager
les uns les autres.
XII. Pour une plus grande preuve et assurance de la
sincérité et de la droiture de nos intentions, et pour
témoigner clairement que nous avons un véritable dessein de
nous acquitter avec fidélité de nos emplois, nous nous engageons
à nous communiquer tous mutuellement les lettres d'avis et d'échange
que nous recevrons de nos bienfaiteurs, et même toutes les autres qui
regardent directement ou indirectement le public: en quoy nous exceptons
celles qui pourroient être particulières à celui qui
les recevra, et qui ne regarderont expressément et précisément
que lui-même et ses propres affaires, auquel cas il ne sera pas
obligé de les montrer, s'il ne veut; et d'ailleurs, les lettres qui
s'écriront par l'un des associés de chaque quartier seront
signées par l'autre, afin que le tout soit fait d'un commun consentement,
pour plus grande édification de nos bienfaiteurs. Du reste, il sera
permis à chacun de communiquer les lettres qu'il recevra de son quartier
à ceux de ses autres amis qu'il trouvera bon, et selon que sa prudence
le jugera à propos pour leur consolation: car, comme nous ne
prétendons pas forcer personne à montrer les siennes à
d'autres qu'à ceux de notre société, s'il ne veut, nous
ne prétendons pas non plus empêcher personne de montrer les
siennes à qui il lui plaira. Par ceux de notre société,
nous entendons en cet endroit ceux qui sont chargés du soin des affaires,
et non tout le corps des confesseurs en général, car il y auroit
trop de dangers à communiquer cette sorte de lettres à tous
les confesseurs, à cause des imprudens, qu'il peut y avoir parmi nous,
et des surprises qui pourroient arriver.
XIII. Outre cela, MM. d'Amoin, Musseton, Bancillon
et Serres, s'engagent et s'obligent très expressément et
formellement à consigner exactement et fidèlement toutes les
sommes qu'ils recevront entre les mains de MM. Valette et Carrière,
pour en faire les pieux et justes usages pour lesquels elles sont destinées
par ceux qui en sont les auteurs; et MM. Valette et Carrière s'engagent
ainsi très expressément de leur part, comme il a été
déjà dit ci-dessus, de dresser des comptes exacts de l'emploi
qu'ils feront des dites sommes qui leur seront consignées et qu'ils
recevront eux-mêmes, lesquels comptes étant vérifiés
et signés par les quatre Messieurs premiers nommés dans cet
article, seront envoyés à nos généreux bienfaiteurs,
pour leur prouver le bon usage qui aura été fait de leurs
bénéficences.
XIV. Que si quelqu'un de ceux qui sont chargés
d'écrire ou de distribuer venoit à défaillir, soit par
mort ou par emprisonnement, l'un de ceux de ses associés qui resteront
prendra sa place, pour suppléer à son deffaut, ou bien, si
on le trouve à propos, on choisira parmi nos autres frères
celui qu'on reconnoîtra être le plus capable de remplir cet emploi.
Cependant, lors qu'il s'agira de choisir un successeur, on ne pourra nommer
personne expressément et déterminément qu'après
qu'on aura recueilli les voix et les avis de tout le restant des associés,
afin que celui qui sera élu, l'étant du consentement de tous,
personne n'y puisse trouver à redire ni à opposer.
XV. Quant au reste, si l'on rencontroit quelqu'un d'entre
nous qui vint dans la suite à n'agir pas conformément à
ce à quoi nous nous engageons de parole, et par ces règles
que nous ratifierons par nos seings, et qu'il vint à violer sciemment
et de propos délibéré la promesse expresse que nous
faisons devant Dieu d'exécuter tous ces articles dans leur teneur,
on le priera bien humblement de se démettre de sa fonction plutôt
que de contrevenir à la promesse et à l'ordre qui aura
été établi, et plutôt que de causer du trouble
à la Société. Mais si, nonobstant la prière qu'on
lui fera, il s'opiniâtroit à vouloir exercer son emploi, en
n'observant pas les règles que nous venons de poser, on le dénoncera
aux bienfaiteurs, en les avertissant de tout ce qui se passe, afin qu'ils
prennent leurs mesures là-dessus, et que s'ils le trouvent à
propos, ils cessent d'adresser leurs bénéficences à
ceux qu'on leur dénonce, du moins après qu'ils auront écrit
ici pour s'informer de la vérité des plaintes qu'on fera contre
l'accusé. Cependant ce dernier article XVe a besoin d'être
modifié et demande une exception: c'est qu'au cas qu'il survint une
violente persécution, telle que la dernière que nous avons
soufferte, et que nous fussions trop resserrés et trop observés
pour pouvoir observer exactement toutes les formalités ci-dessus
marquées, on ne sera plus assujetti à ces loix et à
la promesse que nous faisons; mais chacun tâchera de travailler de
son côté pour le bien de la communauté, selon que sa
prudence et les moyens et les occasions que Dieu lui en donnera le lui pourront
permettre, en attendant qu'il se puisse communiquer à tous pour agir
selon les règles.
Au reste, nous supplions très humblement tous
ceux de nos frères captifs et compagnons de nos chaînes qui
liront et qui verront ceci, de nous faire la justice de croire que nous ne
proposons pas ces règlemens dans le dessein de nous acquérir
quelqu'espèce d'empire et de domination sur eux, comme si nous
prétendions être plus excellens qu'eux et nous les assujettir
en quelque chose, mais que nous n'agissons en tout cela que par un pur esprit
de charité et dans les vues de contribuer, autant qu'il nous sera
possible, au bien de leur corps et à celui de leur âme.
Et comme, de notre côté, nous nous engageons
de veiller sur leur conduite pour les censurer et les reprendre, lors que
nous connoîtrons qu'ils s'écarteront de leur devoir, ils peuvent
et même ils doivent aussi de leur part veiller soigneusement sur nos
actions et sur nos démarches, pour nous avertir charitablement des
deffauts qu'ils remarqueront en nous, leur promettant de profiter de leurs
censures, lors qu'elles seront justes et raisonnables.
Le principal est de vivre tous de telle manière
que nous ne donnions aucun scandale à personne, et que personne ne
soit obligé de nous censurer et de nous reprendre. Nous sommes
obligés, en tous tems et en toutes sortes d'états, de glorifier
Dieu en nos corps et en nos esprits, lesquels lui appartiennent, car c'est
le sacrifice qu'il demande de ses enfans; mais il n'y a point de tems ni
d'états où nous soyons plus fortement obligés à
le glorifier que dans celui où nous nous trouvons.
Ce grand Dieu nous a fait la grâce de nous appeler
à souffrir pour son saint Nom, et à soutenir les
intérêts de sa vérité céleste contre les
efforts et les violences de ceux qui tâchent de la détruire:
par leurs cruelles et injustes persécutions: nous devons donc faire
tous nos efforts pour répondre dignement à ces grands devoirs
auxquels il nous a appelés, et pour ne pas nous rendre entièrement
indignes du glorieux titre de confesseurs de son saint Nom dont il nous a
honorés.
Souvenons-nous pour cet effet, qu'à celui a
qui aura été le plus donné il sera le plus redemandé,
et ne doutons pas que si au lieu de profiter des grandes grâces que
Dieu nous faict, nous les changeons malicieusement en dissolution, en les
foulant misérablement aux pieds, par un mépris outrageant;
ne doutons pas, dis-je, qu'il ne nous punisse très sévèrement
et à proportion de l'abus que nous aurons fait de son support, de
sa patience et de ses bénédictions; et ne nous imaginons pas,
je vous prie, que sous prétexte que nous avons l'honneur de souffrir
pour son nom et pour sa vérité, il nous soit permis de vivre
de la manière que nous voudrons, sans avoir rien à craindre
de la part de sa justice.
Ce seroit nous tromper et nous séduire
nous-mêmes grossièrement que d'avoir une telle pensée;
car, que nous serviroit-il de souffrir pour le nom de Jesus-Christ, si au
lieu de souffrir comme chrétiens, nous souffrons comme des malfaiteurs
? Que nous serviroit-il de confesser ce divin Sauveur de bouche, si à
même tems nous le renions par nos actions et par une vie profane ?
Que nous serviroit-il d'être environnés d'une grande et pesante
chaîne, pour l'espérance d'Israël, si, d'un autre
côté, par notre libertinage, nos dissolutions, nos querelles
et notre indévotion, nous attirions l'opprobre des nations sur
l'Israël de Dieu et sur la sainte religion que nous professons, et si
nous donnions sujet à nos adversaires de blasphémer son saint
Nom, qui est invoqué sur nous.
Ne nous y trompons pas; tout cela ne serviroit qu'à
aggraver notre jugement, qu'à rendre notre condamnation plus juste
et plus inexcusable devant le tribunal sacré de notre souverain et
redoutable Juge. Ha ! mes très chers et honorés frères,
ouvrons donc enfin les yeux, et revenons de tous nos funestes et tristes
égaremens. Relevons nos mains, qui sont lâches, et raffermissons
nos genoux, qui sont déjoints; faisons des sentiers droits à
nos pieds, afin que ce qui cloche ne se dévoye pas, mais que plutôt
il soit remis en son entier. Profitons de la sainte et salutaire exhortation
que le prophète Jérémie nous fait dans ses Lamentations;
recherchons nos voyes et les sondons, et retournons jusques à l'Eternel.
Levons nos coeurs avec les mains au Dieu fort qui est aux cieux, disant:
« Nous avons parfait, nous avons été rebelles, et c'est
pourquoi tu n'as point pardonné ! ».
En effet, mes très chers frères, il n'y
a que nos rebellions, nos ingratitudes et nos injustices qui soient la
véritable cause des terribles afflictions que nous éprouvons
depuis si longtems. Il n'y a que nos impiétés et nos transgressions
qui ayent attiré et qui attirent encore sur nos têtes criminelles
ces épouvantables fléaux de la colère de Dieu qui nous
accablent et sous le poids desquels nous gémissons si amèrement:
il n'y a que nos désordres et nos dérèglemens qui soient
la juste cause du retardement de cette délivrance après laquelle
nous soupirons si ardemment; car, du reste, la main de Dieu n'est point
raccourcie qu'elle ne puisse délivrer, et son oreille n'est point
devenue pesante qu'elle ne puisse ouïr: mais ce sont nos iniquités
qui ont fait séparation entre nous et notre souverain Seigneur, et
nos péchés qui ont fait qu'il a caché sa face arrière
de nous, afin qu'il ne nous écoute pas, selon que le prophète
Esaïe nous le déclare dans ses Révélations.
Entrons donc dans nos propres coeurs, pour en retrancher
l'interdit qui y est malheureusement caché, et soyons persuadés
que si nous renonçons sincèrement à nos péchés,
Dieu renoncera aussi à sa colère, et mettra bas les verges
dont il nous frappe avec tant de sévérité. Si nous nous
convertissons de tout notre coeur à lui, ce bon Dieu se retournera
enfin vers nous, et, se laissant toucher et fléchir par les larmes
de notre repentance et par les soupirs de nos âmes affligées,
il nous accordera sa grâce, sa bénédiction, sa protection
paternelle, et cette liberté de nos corps que nous lui demandons avec
tant d'instance et que nous recherchons avec tant d'empressement.
Mais quand même, par des raisons de son infinie
sagesse il ne trouveroit pas à propos de nous délivrer et de
nous décharger de ces chaînes matérielles que nous portons,
et qu'il voudroit permettre que nous finissions nos jours en souffrant pour
sa gloire, nous ne devons pas laisser de faire toujours notre devoir, et
de nous appliquer avec ardeur et avec zèle à la piété
à la vertu et à toutes sortes de bonnes oeuvres, et de rechercher
la sanctification sans laquelle nul ne verra le Seigneur. Souvenons-nous
que le tems n'est rien, et que l'éternité est notre tout, et
que nous devons principalement aspirer à l'éternelle et glorieuse
liberté des enfans de Dieu. Nous serons toujours assez libres au milieu
de notre esclavage, lors que nous serons dégagés des liens
du péché qui nous enveloppe si aisément, et que nous
saurons régner sur nous-mêmes et nos propres passions.
C'est donc à cela, mes très chers
frères et très intimes amis, que nous devons travailler de
toutes nos forces et avec toute l'ardeur possible. Renouvelons donc à
ce grand Dieu le voeu de notre fidélité et de notre
obéissance, en lui promettant de lui être fidèles jusques
à la mort. Promettons-lui aussi de le servir en nouveauté de
coeur et de vie, en vivant le reste de nos jours avec piété,
avec justice et avec tempérance. Veuille lui-même accomplir
cette sainte et juste résolution, et produire en nous avec efficace
le vouloir et le parfaire selon son bon plaisir, afin qu'après que
nous l'aurons glorifié sur la terre, malgré le monde et l'enfer,
nous puissions être glorifiés avec lui dans le ciel, pendant
toute l'éternité, et être rassasiés de sa glorieuse
et divine ressemblance, et de ces joyes ineffables qui sont à sa dextre
pour jamais !
Pour la conclusion de ces petits règlemens,
nous nous adressons à vous, nos très chers, très
généreux et très charitables bienfaiteurs, à
vous qui nous avez déjà fait tant de bien, et à qui
nous avons déjà de si grandes et de si sensibles obligations.
Si vous ignorez encore le bon ordre qui s'observe parmi nous, depuis plusieurs
années, pour dispenser vos bénéficences avec exactitude
et avec équité, ce petit écrit vous en instruira
suffisamment.
Nous avons sujet d'espérer que cette connaissance
que nous vous donnons aujourd'hui de notre candeur sera un puissant motif
pour enflammer de plus en plus votre zèle et votre charité
envers nous. Les biens que vous nous avez déjà faits sont
très grands, très considérables et très
précieux; mais nous osons aussi vous assurer que notre reconnoissance
est très grande et très profonde, et que nous la portons aussi
loin que des âmes qui ne sont pas tout à fait ingrates sont
capables de la porter. Nous osons vous assurer que les voeux ardens que nous
présentons à Dieu pour vous tous, se redoublent et se multiplient
à proportion que vous multipliez vos bienfaits sur nous.
Le sentiment de vos gratuités est déjà
gravé dans nos coeurs en caractères inéfaçables,
de sorte que nous n'oublierons jamais les précieux et tendres
témoignages d'affection et de bonté que nous recevons journellement
de votre part. Au reste, très chers et bien-aymés du Seigneur,
nous osons vous supplier de ne pas interrompre le cours de vos douces
libéralités. Ouvrez-en plutôt tout à fait la source
pour les faire couler plus largement sur nos profondes misères et
sur nos grandes nécessités. Le besoin que nous en avons est
plus grand que jamais; car, outre que notre nombre est considérablement
augmenté par les nouveaux venus qui ont été condamnés
pour avoir voulu aller entendre la Parole de Dieu à Orange, et par
ceux qui viennent souvent des autres endroits du royaume, c'est que nos parens
qui sont restés en France n'ont guère plus le moyen de verser
du baume sur nos playes, à cause des impôts et des subsides
dont on les accable. Nous osons espérer que vous suppléerez
charitablement à leur défaut et à leur impuissance,
et que, comme nos maux se multiplient de jour en jour, vous multiplierez
aussi les remèdes extérieurs qui nous sont nécessaires,
pour les adoucir plus abondamment.
Vous avez présentement la plus belle occasion
que vous ayez jamais eue et que vous puissiez jamais avoir de faire du bien,
et de montrer votre foi par vos bonnes oeuvres. Pratiquez donc soigneusement
le saint et salutaire conseil que le prophète Daniel donnoit autrefois
au roi de Babylone, dans le chapitre IVe de ses Révélations:
« Rachetez vos péchés par vos aumônes, et vos
iniquités en faisant miséricorde aux pauvres », et ce
sera un alongement à votre prospérité. Puisque vous
ne pouvez pas faire monter votre bien jusques à l'Eternel, faites-le
au moins descendre sur ses saints, et de cette manière vous fairez
quelque chose pour ce grand Sauveur de nos âmes, qui, ayant promis
de ne laisser pas sans récompense un verre d'eau froide que l'on aura
donné à l'un de ses disciples en son nom, récompensera
à beaucoup plus forte raison, et beaucoup plus amplement, ce que l'on
aura fait pour la consolation et pour le soulagement de ses chers disciples
qui souffrent pour justice et pour la deffense de la vérité
céleste.
Vous n'ignorez pas d'ailleurs, chers et
généreux fidèles, ce que nous enseigne le sage Salomon
dans la divine morale des Proverbes, que celui qui a pitié du pauvre
prête à l'Eternel, qui lui rendra son bienfait. Et quel bonheur,
quel grand bonheur, ne sera-ce pas pour vous, chers fidèles, d'avoir
prêté vos biens au souverain monarque de tout l'univers, à
celui qui est la source et l'auteur de tous les biens, car de lui et par
lui sont toutes choses, et qui sans doute vous le rendra avec beaucoup d'usure
!
Quel bonheur ne sera-ce pas pour vous de vous être
acquis, par le moyen de ces richesses iniques et périssables, un
trésor dans le ciel qui ne se rouillera jamais et qu'aucun larron
ne pourra vous ravir ! Ah ! ne négligez point, nous vous en conjurons,
un si grand et si considérable profit. Ouvrez-nous vos coeurs et vos
mains, et Dieu vous ouvrira les entrailles de sa miséricorde pour
vous en faire goûter toutes les douceurs et toutes les tendresses;
il vous rendra, dès cette vie, dans votre sein une grande mesure de
ses bénédictions pressées et entassées, et qu'il
répandra par-dessus, et il vous couronnera un jour dans son ciel de
toute la gloire de son immortalité bienheureuse.
Faites au reste, s'il vous plaît, quelques
réflexions sur l'excès et sur la longueur de nos souffrances
et de nos misères, et il ne sera pas possible que ce triste objet
n'excite fortement toutes vos compassions envers nous. Il n'est pas
nécessaire que je vous en fasse ici une description, vous ne les ignorez
pas, car le seul mot de galère comprend tout ce qu'il y a de plus
pénible et d'accablant, à quoi l'on joint, pour surcroît,
l'inhumanité et l'injustice à cause de la profession de la
vérité. Nous dirons seulement que c'est ici la quatorzième
année de l'esclavage de plusieurs d'entre nous, et que du reste nos
peines et nos douleurs surpassent, sans peut-être exagérer,
toutes les expressions.
Nous vous prions encore de vous souvenir de ce que
dit le grand Apôtre des Gentils, que celui qui sème chichement
recueillera chichement, au lieu que celui qui sème libéralement
recueillera libéralement, les cent pour un ne sont rien en comparaison
de l'abondante moisson qui vous en reviendra. Mais nous vous prions surtout
de vous souvenir de nos tentations et de nos rudes épreuves, et de
demander ardemment à Dieu toute la grâce et toute la force dont
nous avons besoin pour persévérer constamment jusques à
la fin, et pour demeurer plus que victorieux en toutes choses par celui qui
nous a aimés.
De notre part, nous ne cesserons de supplier le
miséricordieux Auteur de tout don parfait qu'il vous tienne un compte
exact de toutes les faveurs que vous nous faites, et qu'il vous rende abondamment
selon la gratuité dont vous usez envers nous. Nous le prions en
particulier qu'il vous fasse ressentir de nouveaux effets de sa bonté
et de sa protection paternelle; qu'il vous accorde une nouvelle abondance
de ses bénédictions spirituelles et temporelles, et surtout
qu'il répande dans vos coeurs pieux et tendres une nouvelle effusion
des dons et des grâces de son Saint-Esprit, afin qu'après que
vous l'aurez servi le reste de vos jours en nouveauté de coeur et
de vie, vous puissiez boire un jour avec lui dans son royaume céleste
le vin nouveau et délicieux de l'éternelle et souveraine
félicité. Prions-le tous ensemble qu'il nous fasse la grâce
de voir en ce nouvel an la paix de sa pauvre Jérusalem et le
rétablissement de ses sanctuaires désolés, et
qu'enfin, il nous reçoive tous dans les tabernacles éternels,
afin que nous l'y puissions glorifier avec les anges et les bienheureux dans
tous les siècles des siècles. Amen.
Fait à Marseille, sur les galères de
France, le vingt-cinq février mille et six cens quatre-vingt-dix-neuf,
et le quatorzième de nos souffrance.
Signé: Serres, Damouyn, Carrière, Pelecuer,
Valette, P. Allix, Bancillon, P. Peraud, Musseton, E. Maurin, D. Gouin, Jean
Lardant, Serres le jeune.
Livre des sources médiévales: [xyxy]: text sources from the now defunct Arisitum website. Contact Paul Halsall, halsall@murray.fordham.edu if any text is here improperly.