(...)
(Rabaut fait lecture de la traduction de la lettre adressée hier à
l'Assemblée par le maréchal Luckner. Elle est ainsi conçue:)
"Messieurs, appelé à Paris par le conseil exécutif
provisoire, pour examiner avec lui les opérations de cette campagne,
je m'y suis rendu aussitôt, où j'ai vu Messieurs les ministres.
Je m'empressai cependant de comparaître à la Convention nationale,
assemblée en qui réside toute puissance et le véritable
pouvoir.
Je ne viens pas, Messieurs, pour vous faire des compliments sur vos lois.
Vous avez érigé le royaume en république; fort bien,
j'obéirai à la nation; mais s'il est du devoir du soldat de
veiller à son poste, son poste ne doit-il pas être stable et
désigné, sont poste ne doit-il pas être honorable ?
Je ne veux pas vous le taire, Messieurs, la calomnie s'élève
sur ma tête, et peu à peu m'environne. J'ai dit, il y a longtemps,
que je n'avais pas l'usage de la langue française; mais j'ai le coeur
français. Je ne connais pas l'art de bien parler; mais je sais me
battre, quoi qu'il en soit.
L'on parle contre quelques expressions de mes lettres; mais on sait que je
ne les fais pas, et on oublie que je n'ai jamais abandonné et que
je n'ai pas souffert que personne abandonnât le poste que la patrie
m'a confié. On oublie ma conduite à Courtrai, mes débats
avec un mauvais ministre et avec Lafayette, vis-à-vis duquel j'étais
dans une telle position que j'ai toujours craint qu'il ne me mît pas
dans le plus cruel embarras.
On ne parle pas de ma conduite relative à l’événement
du 10 août, et de ma constance à faire taire toute opposition,
en attendant l'arrivée des commissaires de l'Assemblée nationale,
qui, j'ose le dire, n'ont rien fait autre chose que d'accélérer
mon ouvrage.
On tait mes voyages continuels et ma constante vigilance; mais on parle contre
moi de l'événement du 10 août. J'ai, dit-on, fait faire
des logements pour marcher vers Paris; et ce soupçon fut suffisant
pour me destituer. Messieurs les commissaires de l'Assemblée nationale
arrivent, le jour luit, et je me suis vu généralissime; mais
est-ce pour commander, pour diriger les armées vers le point du milieu
de l'action ? Non, c'est pour aider les généraux de mes conseils.
On m'avait jeté dans Châlons, j'ai obéi; mais tantôt
ce sont les volontaires que je renvoyais qui s'élèvent contre
moi, comme si j'avais fait autre chose que ce que font tous les
généraux, qui est de renvoyer les militaires pour les former,
et de les éloigner de l'ennemi jusqu'à ce qu'ils soient
formés; tantôt on assure que je n'avais pas la confiance des
soldats, comme si en criant contre moi auprès des nouveaux venus,
on pouvait m'enlever l'amour de ceux qui m'ont vu avec eux au feu. On dit
que j'ai un fils au service de l'empereur, tandis que mes deux fils sont
au service du Danemark.
Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'ils n'ont jamais donné occasion
de plainte à la France. En général, un mal suit l'autre;
on perd la bonne opinion qu'on a de moi, on m'appelle à Paris et l'ennemi
prend les frontières. Je remercie le ministère de ce qu'il
ne s'est pas appesanti sur les soupçons que mes lettres pouvaient
lui donner. C'est une marque de son patriotisme; car il est temps, j'en conviens,
que tous les hommes douteux soient éloignés; mais il est temps
aussi que la confiance renaisse envers ceux qui se prononcent de manière
à ne plus pouvoir être rangés parmi les douteux.
Mandataires de la nation, Luckner ne vient pas auprès de vous pour
se plaindre; mais il vient pour faire sa profession de foi: il aime la nation.
Honoré dans plusieurs États, il a voulu finir de vivre dans
celui où il a été le plus estimé, ayant passé
par tous les grades qu'un militaire puisse obtenir. Il veut terminer sa vie
avec honneur; il se croit incapable de souiller son honneur; il ne désire
autre chose que de sacrifier sa vie au service d'une grande nation qui s'est
tant sacrifiée pour sa liberté.
Ce général peut parler d'honneur, car il a fait du bien sans
nombre; car tout est compris dans l'honneur cher à la nation
française. Pourquoi faut-il donc qu'au lieu de pouvoir conduire les
troupes à la victoire, il se voie obligé de se rendre dans
cette enceinte pour se justifier ?
Quoi qu'il en arrive, recevez le serment qu'il fait d'une fidélité
en tout point, et d'une obéissance sans fin".
(...)
Collot-d'Herbois : "La Convention n'a pas statué sur la lettre
du maréchal Luckner; sans doute elle doit être renvoyée
à un comité. Le maréchal Luckner n'a pas répondu
à la plus grave des objections qu'on lui a faites; c'est de n'avoir
pas fait le procès du traître Jarry. Lorsque nos phalanges sont
prêtes a entrer sur le territoire des tyrans, ceux-ci ne manqueront
pas de rappeler à leurs esclaves l'affaire de Courtrai. Il faut donc
que ce crime ne reste pas impuni plus longtemps. Il faut faire le procès
à Jarry..."
Un membre : "Il est soustrait".
Collot-d'Herbois : "S'il est soustrait, il faut toujours prononcer
son crime; s'il est soustrait, il n'échappera pas du moins à
l'exécration publique. Je demande que Luckner ne puisse sortir de
Paris avant que la Convention ait prononcé à son égard".
(Cette proposition est adoptée et sa lettre est renvoyée au
comité militaire)
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Livre des sources médiévales: [xyxy]: text sources from the now defunct Arisitum website. Contact Paul Halsall, halsall@murray.fordham.edu if any text is here improperly.