Cependant, tandis que, de jour en jour, le fils (1) faisait
des progrès, son père, le roi Philippe, perdait de jour en
jour de ses forces. En effet, depuis qu'il avait pour concubine la comtesse
d'Anjou (2), il ne faisait plus rien de digne de la majesté royale;
mais, emporté par la violence de son désir pour la femme
qu'il avait enlevée, il ne s'occupait qu'à satisfaire sa
voluptueuse passion (3). Ni il ne pourvoyait aux intérêts
de l'État ni, dans son excessif relâchement, il ne ménageait
la santé de son corps, bien fait pourtant et plein d'élégance.
Il ne restait plus pour maintenir le royaume dans sa force que la crainte
et l'amour qu'on avait pour son successeur et fils. Âgé de
près de soixante ans (4), il dépouilla en lui le roi et rendit
le dernier soupir au château de Melun-sur-Seine, en présence
de monseigneur Louis.
A ses obsèques solennelles assistèrent vénérables
personnes Galon, évêque de Paris (5), l'évêque
de Senlis, celui d'Orléans (6), Adam de bonne mémoire, abbé
de Saint-Denis, et maintes autres religieuses personnes. Ils portèrent
jusqu'à l'église Notre-Dame le noble cadavre de la majesté
royale et passèrent toute la nuit à célébrer
les funérailles. Le lendemain matin, le fils fit décemment
orner la litière funèbre de riches étoffes et de toute
sorte de parures et la fit poser sur les épaules de ses principaux
serviteurs; quant à lui, il montrait les sentiments d'un vrai fils,
ainsi qu'il convenait à un tel prince. Tantôt à pied,
tantôt à cheval, avec les barons qui étaient là,
il accompagnait la litière en pleurant. Admirable grandeur d'âme;
car, durant toute la vie de son père, ni pour la répudiation
de sa mère ni même pour les faveurs données hors mariage
à l'Angevine, il ne l'offensa jamais en rien ni ne chercha, comme
c'est la coutume des autres jeunes gens, à mettre le désordre
dans le royaume en portant atteinte sur quelque point à son autorité.
Le corps fut transporté en grand cortège au noble monastère
de Saint-Benoît-sur-Loire (7). C'était là que le roi
Philippe avait exprimé le souhait d'être enterré (8).
Certains déclaraient, pour le lui avoir entendu dire, que, s'il
avait résolu de se tenir éloigné de la sépulture
des rois ses pères, sépulture qui se trouve comme de droit
naturel en l'église de Saint-Denis, c'est parce qu'il s'était
conduit avec moins de bienveillance qu'eux envers cette église (9)
et que, parmi tant de nobles rois, on n'y aurait pas fait grand cas de
son tombeau. Son corps fut mis dans ledit monastère, devant l'autel,
le plus convenablement possible, et, aux accents des hymnes et des prières
des assistants qui recommandaient son âme à Dieu, il fut recouvert
de pierres magnifiques (10).
Notes:
1) Il s'agit du futur Louis VI le Gros.
2) Bertrade, fille de Simon Ier de Montfort et d'Agnés d'Evreux,
était devenue en 1088 comtesse d'Anjou par son mariage avec Foulques
le Réchin. Philippe Ier l'enleva dans la nuit du 15 mai 1092. Voir
L. Halphen, Le comté d'Anjou au XI siècle (1906),
page 170.
3) Assertion confirmée par le témoignage de Guillaume
de Malmesbury (A. Fliche, Le règne de Philippe Ier, page
306, note).
4) Formule approximative; Philippe Ier avait presque certainement cinquante-six
ans. Il mourut le 29 juillet 1108.
5) De 1104 à 1116. Galon, élu évêque de Paris
vers le mois de juillet 1104, appartenait au parti réformiste et
était bien connu de Pascal II, qui l'avait envoyé en 1102
comme légat en Pologne. Il contestait à l'abbé de
Saint-Denis le droit de faire consacrer les moines par n'importe quel évêque.
6) Hubert, évêque de Senlis de 1099 à 1115; Jean
II, évéque d'Orléans de 1096 à 1135.
7) Fleury-sur-Loire, Loiret, canton d'Ouzouer.
8) Il y avait assisté, le 20 mars précédent, à
une cérémonie imposante, la translation des reliques du saint,
et avait offert aux moines, pour conserver la chasse, un riche coffret
d'or rehaussé de pierres précieuses (B. Monod, Essai sur
les rapports de Pascal II avec Philippe Ier, page 60).
9) Les Grandes Chroniques traduisent : « celle église ».
10) Le tombeau dit de Philippe Ier, existant aujourd'hui dans le bras
sud du transept de l'église de Saint-Benoît-sur-Loire, ne
date que de 1840 environ. Quelques rares débris subsistent (près
du portail muré du bras nord) du monument qui fut détruit
pèndant la Révolution. Voir A. Fliche, Le règne
de Philippe Ier, appendice II.