DE PAR LE ROY. Louis-Urbain Aubert de Tourny, chevalier, marquis de Tourny,
    
    
    baron de Nully, seigneur de Pressaigny, Laquedaix, Thil et autres lieux,
    
    
    conseiller du Roy en ses conseils, maître des Requêtes ordinaires
    
    
    en son hôtel, Intendant de Justice, Police et Finances en la
    
    
    Généralité de Limoges. 
             La plantation des arbres de toutes les espèces, étant un des
      
      
      plus utiles moyens pour tirer du sein de la terre une partie des productions
      
      
      dont la providence l'a rendue capable, nous voyons avec grande peine que
      
      
      la négligence sur cet objet est portée dans tout notre
      
      
      département au point qu'il n'y a pas de replanté le vingtième
      
      
      des châtaigniers, noyers et autres arbres fruitiers détruits
      
      
      par l'hiver de 1709, non plus que des chesnes qui depuis quinze années
      
      
      ont été coupés dans les hayes des domaines pour faire
      
      
      du merrain ou du bois de construction. Cependant, c'est de ces châtaigniers
      
      
      que le peuple attend le principal de sa nourriture, dans prés des
      
      
      trois quarts de cette généralité, et non seulement il
      
      
      se trouve en avoir moins qu'il ne luy en faut pour ses besoins, lorsque ces
      
      
      arbres rendent peu, mais même il est à craindre que cet aliment
      
      
      ne luy manque bien tôt, en considérant le mauvais état
      
      
      de ceux qui produisent actuellement. Las plus part sont de vieux troncs qui
      
      
      ayant été frapés de l'hiver de 1709, dans être
      
      
      totalement gelez, ont été coupés à la naissance
      
      
      des branches et en ont poussé de nouvelles, lesquelles se sentant
      
      
      de l'altération de la tige, et y tenant beaucoup moins que si elles
      
      
      étoient de la première pousse, éclatent et se brisent
      
      
      pour peu qu'un vent violent les agite; de là les dégats dans
      
      
      les chataigneraies, dont depuis quelques tems on se plaint si souvent, et
      
      
      qui se renouvellant bien des fois les détruiront à la fin. 
     A l'égard des noyers, chaque domaine dans la plus grande partie de
      
      
      la généralité en avoit une certaine quantité
      
      
      avant l'hiver de 1709. C'étoit un objet de revenu, même
      
      
      considérable pour plusieurs cantons. Il en est presque plus question
      
      
      présentement, tant parce qu'on n'a point eu soin de faire de nouveaux
      
      
      plants de ces arbres, qu'à cause que les vieux troncs qu'on y a pû
      
      
      conserver éprouvent très souvent les mêmes accidens dont
      
      
      il vient d'être parlé au sujet des châtaigniers. Quant
      
      
      aux chesnes, le prix escessif auquel le merrain est monté depuis un
      
      
      certain nombre d'années, en a occasionné la plus grande
      
      
      destruction; chacun en coupant ces arbres, tantôt d'un côté
      
      
      tantôt d'un autre, n'a été frappé que de la valeur
      
      
      qu'il en recevroit, sans songer qu'il se privoit insensiblement d'une
      
      
      glandée d'autant plus nécessaire aux cochons qu'il restoit
      
      
      peu de chataigneirs pour y suppléer; au moyen de quoy le commerce
      
      
      considérable qui se faisoit dans la Province sur ce bétail
      
      
      est beaucoup tombé; enfin, les pommiers, poiriers et autres arbres
      
      
      fruitiers, quoyque d'un produit moins avantageux apportoient aussi beaucoup
      
      
      d'utilité aux domaines où il y en avoit, soit pour en vendre
      
      
      la dépouille dans les villes, soit pour la faire venir pendant quelques
      
      
      mois de l'année à une partie de la nourriture des gens de la
      
      
      campagne, et à l'engrais de leurs bestiaux. 
     Sa Majesté, informée il y a quelques années de la triste
      
      
      situation de cette généralité sur ces différents
      
      
      objets, et voulant y remédier, auroit alors donné ses ordres
      
      
      pour former au centre de chaque Election une pépinière Royale
      
      
      qui contint un grand nombre de toute sorte d'arbres, où ce qui en
      
      
      manqueroient pussent se fournir; mais cet établissement, dont
      
      
      l'utilité devroit être très grande, n'ayant point
      
      
      été suivi, les défradations auroient depuis augmentée
      
      
      chaque année, et se trouvent aujourd'huy avoir absolument besoin de
      
      
      précautions qui y pourvoient; 
     Nous avons pensé que les circonstances des tems ne permettant plus
      
      
      de revenir aux pépinières Royales, couteuses d'ailleurs à
      
      
      la Province par l'imposition à laquelle elles devoient donner lieu
      
      
      pour la dépense de les planter et entretenir, il ny avoit pas actuellement
      
      
      de moyen plus simple et plus naturel que d'obliger tous propriétaires
      
      
      de corps de domaines, d'y semer au plutôt une certaine quantité
      
      
      de noix, chataignes, glands, pépins de pommes et de poires, etc.,
      
      
      afin de former par la suite dans ces mêmes domaines des
      
      
      pépinières en état de fournir aux plantes qui y seront
      
      
      nécessaires. Ces différentes semences étant presque
      
      
      toute dans la main de chacun des propriétaires desdits domaines, ou
      
      
      ne leur pouvant couter que peu de chose, et ce qui sera ordonné à
      
      
      ce sujet ne demandant qu'un très petit espace de terre, personne ne
      
      
      pourra, sans mauvaise volonté et sans aller contre ses propres
      
      
      intérêts, se donner un prétexte d'impuissance pour y
      
      
      contrevenir. A ces causes, 
     Article Premier 
  Nous ordonnons aux propriétaires de domaines de deux paires de boeufs
      
      
      et au dessus, situez en notre généralité, de semer,
      
      
      aussit tôt après la publication de la présente ordonnance,
      
      
      ou faire semer dans une terre bonne de sa nature, et bien labourée
      
      
      à la bêche, 300 noix, 400 chataignes, 500 glands, 200 noyaux
      
      
      de prunes, six à 700 pépins de pommes et de poires. Le tout
      
      
      étant espacé d'environ 3 à 4 pouces dans des rayons
      
      
      tirés au cordeau à un pied l'un de l'autre, ne tiendra pas
      
      
      4 toises en quarré faisant 16 toises de superficie, que lesdits
      
      
      propriétaires seront tenus de faire clore d'un fossé, avec
      
      
      une haye seiche sur la crête pour empécher le bétail
      
      
      d'y entrer. 
     Article II 
  Afin que ces semences profitent de façon à former des plans
      
      
      enracinez, qui après deux années puissent être mis en
      
      
      pépinières, les propriétaires desdits domaines auront
      
      
      soin de leur faire donner chaque année deux sarclages (* le sarclage
      
      
      consiste à déraciner avec une serfoüette les herbes qui
      
      
      peuvent surmonter le plant et l'étouffer) et labours légers
      
      
      à la petite pioche, l'un au printems, l'autre à l'entrée
      
      
      de l'automne, et au bout dudit tems ces plants enracinés seront
      
      
      transplantés dans une autre bonne terre bien amadée, et seront
      
      
      rangez au cordeau à un pied l'un de l'autre, les rangs à la
      
      
      distance de deux pieds, avec cette attention qu'un des bouts des rangs donne
      
      
      au midy et l'autre au septentrion. 
     Article III 
  Y ayant lieu de penser qu'il ne viendra à bien qu'environ les trois
      
      
      cinquièmes desdites semences, ce qui ne fera que 12 à 1300
      
      
      plants enracinez, il ne faudra pour les contenir, compassez comme il vient
      
      
      d'être dit, qu'une petite pièce de terre d'environ dix toises
      
      
      en quarré, faisant cent toises de superficie, laquelle pièce
      
      
      de terre nous ordonnons ausdits prorpiétaires de faire entourer pendant
      
      
      le courant de l'année 1734 d'un grand fossé planté de
      
      
      haye vive, pour mettre en sureté lesdits plants contre le bétail,
      
      
      dés l'instant qu'ils y auront été transplantez. Et sera
      
      
      ladite pièce de terre choisie de façon qu'elle ait, s'il se
      
      
      peut, ainsi que celle pour lesdites semences portées au premier article,
      
      
      deux pieds de fond, qu'elle ne soit ny trop sèche, ni trop humide,
      
      
      ny entourée de grands arbres, dont les racines et l'ombrage puissent
      
      
      nuire aux jeunes plants. 
     Article IV 
  Pendant les 7 à 8 années que lesdits plants auront besoin de
      
      
      rester dans les pépinières pour s'élever de grosseur
      
      
      et grandeur à être plantez dans les lieux de leur destination,
      
      
      les propriétaires leur donneront ou feront donner les rois premières
      
      
      années deux sarclages et labours légers à la pioche,
      
      
      comme cy-dessus au printems et à l'entrée de l'automne. Et
      
      
      chacune des autres années, deux labours à la bèche dans
      
      
      les mêmes saisons, en prenant garde que par ces sarclages ou labours,
      
      
      les racines de ces jeunes plants ne soient endommagées. Aussi-tôt
      
      
      après les sarclages et labours prescrits pendant les trois premières
      
      
      années, il sera répandu sur les pépinières de
      
      
      la fougère et de la paille, non encore convertie en fumier, pour
      
      
      empêcher que l'ardeur du soleil ne brule les racines des jeunes plants. 
     Article V 
  Les propriétaires des domaines à une paire de boeufs ne seront
      
      
      tenus de semer que les deux tiers de ce qui est ordonné cy-dessus;
      
      
      et ceux des domaines à deux ou quatre vaches que la moitié,
      
      
      toute proportion gardée; au moyen dequoy le terrain que les premiers
      
      
      devront préparer et entourer de fossez pendant le courant de l'année
      
      
      1734 sera d'un peu plus de huit toise en quarré, faisant environ 67
      
      
      toises de superficie; et celuy que devront de même préparer
      
      
      les seconds sera de 7 toises en quarré, faisant près de 50
      
      
      toises de superficie. 
     Article VI 
  Si quelques propriétaires desdits domaines n'ont pû par
      
      
      différentes circonstances faire avant le 15 décembre prochain
      
      
      les semences cy-dessus ordonnées, ils s'y prépareront pendant
      
      
      les mois de janvier et février 1734 de façon que lesdites semences
      
      
      soient faites dans le mois de mars suivant, et en cas qu'on s'apperçoive
      
      
      après la pousse du mois de septembre 1734 qu'il y ait une grande
      
      
      quantité de semences manquées, chaque propriétaire au
      
      
      mois de novembre suivant regarnira les plants vuides par de nouvelles semences,
      
      
      de façon que lors qu'il sera tems de lever les plants enracinés,
      
      
      et de les mettre en pépinières, il s'en trouve au moins les
      
      
      trois cinquièmes de ce qui a été ordonné cy-dessus
      
      
      d'être semé. 
     Article VII 
  Afin d'engager toutes les paroisses à exécuter plus soigneusement
      
      
      le contenu de la présente ordonnance, ainsi que chaque propriétaire
      
      
      de domaine en particulier, nous déclarons que lors de la répartition des impositions pour les
      
      
      années prochaines, nous aurons attention à soulager, autant
      
      
      qu'il nous sera possible, celles que nous apprendrons être le mieux
      
      
      comportées dans lesdites semences et plantations de
      
      
      pépinières; et s'il se trouve des propriétaires de domaines
      
      
      qui ayent négligé lesdites semences, nous ferons défenses
      
      
      aux collecteurs, au bas des commissions des tailles, de leur donner aucune
      
      
      part des diminutions qui seront accordées ausdites paroisses; même
      
      
      nous les condamnerons à des amendes telles que de droit, applicables
      
      
      au profit des pauvres desdites paroisses. Enjoignons à cet effet aux
      
      
      syndics et collecteurs de chacune, de nous avertir dans le mois de may prochain
      
      
      des contraventions commises à la présente ordonnance, à
      
      
      peine contr'eux d'amende arbitraire. 
     Article VIII 
  Comme il y a plusieurs cantons de cette généralité dans
      
      
      lesquels on ne voit point de chataigniers, parce que le terrain n'y est pas
      
      
      propre, ou a paru de voir être employé à des productions
      
      
      plus avantageuses, n'entendons que les dispositions de la présente
      
      
      ordonnance quant aux chataigniers, ayent lieu dans lesdits cantons, enjoignant
      
      
      aux propriétaires des domaines qui y sont situés de remplacer
      
      
      la semence de chataignes par un plus grand nombre de noix, de glands, de
      
      
      pépins, de noyaux, ou autres semences d'arbres utiles et convenables
      
      
      au terrain. 
     Article IX 
  En l'absence des prorpiétaires desdits domaines, ou en cas de
      
      
      négligence de leur part, les receveurs, fermiers, métayers,
      
      
      ou colons seront tenus sous les mêmes peines de l'article VII de faire
      
      
      les semences et pépinières cy-dessus ordonnées, sauf
      
      
      à se faire tenir compte par lesdits propriétaires de ce qui
      
      
      aura été dépensé pour ce sujet. Et afin que personne
      
      
      ne prétende ignorance de la présente ordonnance, elle sera
      
      
      affichée dans toutes les paroisses de notre généralité,
      
      
      lûe et publiée en icelle à la sortie de la messe paroissiale
      
      
      un jour de dimanche par les syndics et collecteurs auxquels trois exemplaires
      
      
      seront envoyés à cet effet. 
     Fait à Angoulême, le trois novembre mil sept cent trente trois 
     Signé AUBERT DE TOURNY 
     Par Monseigneur DUPIN. 
  
          Livre des sources médiévales: [xyxy]: text sources from the now defunct Arisitum website. Contact Paul Halsall, halsall@murray.fordham.edu if any text is here improperly.