(...)
(Lettre du ministre de la guerre)
"Paris, le 25 septembre, l'an Ier de la République.
Au moment où le peuple a reconquis la liberté, toutes les mesures
étaient prises pour l'accabler de chaînes mille fois plus pesantes
que celles qu'il avait commencé de briser le 14 juillet. Ainsi, il
ne paraît plus possible de douter, que du 15 au 25 août, les
ennemis seraient entrés dans Paris, comme leur imprudente
présomption en laissait depuis quelque temps transpirer la nouvelle.
Tout était préparé pour aplanir les difficultés,
et l'on avait, pour ainsi dire, jalonné leur route.
En effet, Luckner n'avait à Metz que 17.000 soldats; Lafayette tramait
dans son camp de Sedan des trahisons à la tête de 18.000 hommes,
formait de vastes, mais inutiles projets: obligé de diviser ses forces
entre Pont-sur- Sambre, Maubeuge et Maulde. Biron était sur les bords
du Rhin; mais malgré son ardente envie de servir la chose publique,
il ne voyait que des trahisons à craindre, et un peuple séduit
par le fanatisme et la cabale; en vain Custine s'était jeté
dans Landau; Ferrières était à Porentuy; Kellermann
à Wissembourg; les ennemis étaient partout; et tandis que le
roi de Prusse devait marcher tranquillement et sans obstacle sur Paris, les
Hessois et les émigrés devaient passer le Rhin, les Autrichiens
pénétrer dans les départements du Nord, les Piémontais
dans ceux du Midi, et l'aristocratie lever ouvertement le masque dans toutes
les parties de l'intérieur. Une seule nuit vit disparaître tous
ces projets, et le courage de nos braves concitoyens fit évanouir,
le 10 août, ces trames si perfidement ourdies contre notre liberté.
Depuis, Messieurs, la scène a changé; en vain les ennemis ont-ils
profité des trahisons préparées à Longwy et à
Verdun; en vain ont-ils réuni sur un même point la plus grande
partie des forces qu'ils avaient sur le Rhin et dans les Pays-Bas.
Déjà nous leur avons opposé plus de 60.000 hommes
réunis à Sainte-Menehould; déjà ils ont
été repoussés plusieurs fois devant Thionville: Metz
est dans un état respectable de défense; la France tout
entière s'est levée, et toutes les villes, les bourgs, les
villages entre Paris et Châlons, se garnissent journellement de volontaires
prêts à se réunir en corps d'armées; le Nord va
revoir incessamment une armée en campagne; les Brabançons ne
nous aurons pas appelés en vain; de nouvelles forces ne tarderont
point à être dirigées sur les derrières de l'ennemi:
sans un orage affreux qui a endommagé les lignes de la Lauter, le
brave Custine aurait déjà porté nos armes à Coblentz;
nous avons dû entrer en Savoie, et attaquer le comté de Nice;
les Espagnols tenteraient en vain de traverser les Pyrénées.
D'autres entreprises qui exigent du secret ne tarderont pas à être
mises à exécution; enfin, de tous les côtés, le
peuple français est en mouvement pour assurer sa liberté, et
concourir avec ses représentants à jeter les fondements durables
d'une constitution qui l'honore à jamais.
Si, au milieu d'événements qui tiennent autant du prodige,
il était permis à un citoyen de parler de lui, je prierais
que l'on me permit de me féliciter de m'être trouvé au
milieu des mouvements multipliés et rapides imprimés en si
peu de temps à toute la machine. Je prierais surtout de pouvoir nommer
les citoyens qui ont concouru et qui concourent encore avec moi au salut
de la chose publique; mais les effets heureux dont ils sont la cause parlent
assez pour eux; et dans un moment où il faut naturaliser
l'égalité parmi nous, chaque Français ne peut plus
être heureux que de la prospérité de la République.
Cependant, mes forces n'ont pas suffi à mon désir extrême
de répondre aux bontés excessives de mes concitoyens pour moi.
Dans la place qu'on m'a confiée, il ne suffit pas de la volonté;
il ne suffit pas de méditer pour correspondre avec les armées;
il faut s'occuper à les alimenter, les augmenter et suivre leurs
mouvements.
Pour entretenir des relations exactes avec toutes les parties de la
république, il faut que le ministre soit lui-même dans une action
continuelle, et c'est ce qui ne m'est plus possible. Un mois et demi passé
sans aucune espèce de repos ni le jour ni la nuit, toujours entre
la crainte des événements et celle de ne pas faire, aussi bien
que je l'aurais voulu, tout ce qui intéresse le salut de la chose
publique, m'a réduit dans un état de douleur si continuel,
qu'il ne m'est plus possible à peine de signer. Obligé pour
tout le reste de m'en rapporter à d'autres, je ne peux plus conserver
cette responsabilité morale dont tout homme honnête doit être
si jaloux.
Veuillez donc, Monsieur le Président, prier la Convention nationale
d'accepter ma démission d'une place que je ne peux plus occuper pour
le bonheur de ma patrie et mon honneur... Ce qui tranquillise cependant un
peu, en me voyant dans l'impossibilité de rester plus longtemps à
la place où mes concitoyens m'avaient appelé, c'est de la quitter
dans un moment où tout est préparé pour donner bien
plus d'espérance que de crainte; aussi osé-je me flatter que
mes concitoyens me sauront quelque gré des efforts que je n'ai cessé
de faire depuis plus d'un mois pour le service de la chose publique; et que
hors d'état de les soutenir, faute de forces physiques suffisantes,
je ne continuerai pas moins de mériter toute leur estime.
Signé SERVAN".
Saint-Just : "Je demande qu'il soit décrété que
le citoyen Servan a bien mérité de la patrie".
(On applaudit)
Granet : "Je demande qu'il soit invité à rester dans
le ministère et qu'on lui donne un adjoint".
(L'assemblée ajourne la délibération sur ces lettres
à la séance de la nuit. La séance est levée à
6 heures).
Livre des sources médiévales: [xyxy]: text sources from the now defunct Arisitum website. Contact Paul Halsall, halsall@murray.fordham.edu if any text is here improperly.