Formes sous lesquelles les sources
diplomatiques
nous sont parvenues
(Notes tirées du "Manuel de Diplomatique" de A. GIRY, Paris, Librairie
Hachette et Cie, 1894, pages 10 à 36)
Les actes anciens qui se sont conservés nous sont parvenus soit sous
la forme d'originaux (archetypa, autographa), soit
sous la forme de copies; il en est aussi dont nous n'avons connaissance que
par des analyses plus ou moins détaillées ou même par
de simple mentions.
Il n'est pas indifférent à la critique de posséder d'un
document l'original ou une copie. En présence d'une copie, non seulement
elle ne peut pas s'exercer sur les caractéristiques extrinsèques
de l'acte, mais elle peut toujours soupçonner la teneur d'avoir subi
des altérations. Aussi le diplomatiste doit-il s'imposer la règle
absolue de ne faire d'observations destinées à établir
la doctrine que sur les originaux.
On a depuis longtemps constaté que l'original d'un acte n'est pas
nécessairement unique: sans parler de nombre de contrats qu'il a
été toujours de coutume de rédiger en autant d'originaux
que de parties, il existe beaucoup d'actes dont on a expédié
deux ou même plusieurs exemplaires, tous de même teneur,
revêtus des mêmes signes de validation, et qui tous par
conséquent sont bien au même titre des originaux.
Beaucoup d'actes anciens contiennent dans leurs clauses finales la mention
qu'ils ont été rédigés à plusieurs
exemplaires. Il existe quelquefois aussi dans la teneur, et
particulièrement dans les souscriptions des divers originaux d'un
même acte, des différences dont il n'est pas toujours facile
de rendre raison...
Mais il arrive aussi que l'un des exemplaires seul mérite le nom
d'original, et que les autres, encore que revêtus de caractères
d'authenticité, ont reçu dans la forme quelques modifications
et ne sont que des expéditions ou des ampliations: c'est
le cas pour certains actes de la chancellerie des rois de France depuis le
XIIe siècle dont les ampliations ont été
rédigées en forme moins solennelle que l'original.
A partir du XIIIe siècle, dans la plupart des chancelleries, les actes
dont il était fait plusieurs exemplaires en ont ordinairement gardé
l'indication, exprimée par un mot tel que duplicata,
triplicata, etc., que l'on écrivait généralement
sur le repli.
Il importe de ne confondre ni avec les originaux ni avec les copies les minutes des actes. Elles se distinguent des originaux en ce que, la
plupart du temps, elles n'ont pas été calligraphiées
avec le même soin, mais surtout en ce qu'elles n'ont pas reçu
les signes de validation, les mentions, les apostilles dont il était
d'usage de revêtir les originaux. Les formules y sont souvent
abrégées, les dates peuvent y faire défaut ou ne pas
concorder exactement avec celles des originaux; très fréquemment
aussi il s'y rencontre des corrections et des ratures. Il faut, en outre,
remarquer que la minute d'un acte demeurait dans les archives de l'auteur
de l'acte, tandis que l'original provient de celles du destinataire.
Les minutes d'actes anciens sont assez rares dans les dépôts
d'archives, parce que la plupart ont été détruites
après la confection des originaux: dépourvues de tout
caractère d'authenticité, elles étaient de nulle valeur
juridique. Les archives du Parlement de Paris ont conservé un assez
grand nombre de minutes d'actes royaux: quelques unes ont été
reproduites pour l'enseignement de l’École des Chartes. Il s'y trouve
notamment les minutes d'actes de Philippe VI de 1332 à 1350.
Au point de vue historique, les minutes n'ont pas une valeur moindre que
les originaux, à condition toutefois d'observer qu'une minute peut
être un simple projet, et partant que l'acte qui s'y trouve consigné
peut fort bien n'avoir pas reçu son exécution.
Au point de vue diplomatique, il faut remarquer que les formes peuvent ne
pas y avoir été rigoureusement observées: il serait
donc téméraire soit de condamner un tel document parce qu'on
y relèverait des irrégularités, soit de s'appuyer sur
des particularités de sa teneur pour en tirer des règles de
diplomatique.
Dès l'époque la plus ancienne, pour éviter de recourir
trop souvent aux originaux et les préserver des risques de perte ou
des dommages dont une fréquente production les aurait menacés,
on en a fréquemment exécuté des copies.
Très souvent, particulièrement pendant le haut moyen âge,
les copistes non seulement n'ont averti par aucun signe que leur oeuvre
n'était qu'une transcription, mais encore ils se sont appliqués
à imiter les originaux et à en reproduire toutes les dispositions.
Nous nommerons copies figurées celles qui ont été
exécutées ainsi.
Lorsque ces transcriptions sont à peu près contemporaines des
actes qu'elles reproduisent, et faites avec habileté, elles se confondent
facilement avec les originaux, dont il importe cependant de les distinguer,
car elles sont toujours suspectes d'altérations ou même
d'interpolations. Le caractère qui les fait le plus ordinairement
et le plus facilement reconnaître est l'absence de signes de validation;
mais ce n'est pas un indice absolument sûr, car il est arrivé
que les copistes ont reproduit en les imitant les souscriptions, les monogrammes,
les paraphes, et même pratiqué au bas de l'acte les incisions
qui, dans l'original, marquaient la place du sceau. On ne peut être
assuré d'éviter des méprises que par une étude
attentive et minutieuse des écritures et de tous les usages des
chancelleries.
Il faut soigneusement distinguer des copies figurées une autre
catégorie de prétendus originaux auxquels nous donnerons le
nom d'actes récrits. Ce sont des documents qui,
postérieurement à la date qu'ils s'attribuent, et alors que
les originaux ou les anciennes copies étaient endommagés ou
même perdus, ont été refaits soit à l'aide des
débris conservés des originaux, soit d'après d'anciens
extraits, des analyses, des mentions ou parfois de simples traditions.
Lorsque le rédacteur de tels actes était habile et avait à
sa disposition de bons modèles ou d'anciens formulaires, il pouvait
donner à ses productions un aspect et des caractères susceptibles
de les faire passer pour d'anciennes copies, ou même pour des originaux.
Vrais quant au fond, des documents de cette nature sont faux quant à
la forme. Lors même que la critique peut arriver à prouver que
tel acte ainsi refait a réellement existé, il demeure toujours
suspect de contenir dans sa teneur non seulement des anachronismes, mais
aussi des clauses et des énonciations qui ne se trouvaient pas dans
l'acte primitif.
L'histoire peut encore en tirer parti, à condition de le considérer
comme une notice historique postérieure aux faits qu'elle rapporte,
et de le soumettre comme tel à un contrôle sévère;
mais il perd les caractères essentiels qui distinguent les sources
diplomatiques.
Les documents de cette espèce ne sont pas rares parmi les titres provenant
des établissements religieux d'ancienne fondation, et ils ont
été généralement fabriqués du Xe au XIe
siècle. On sait, en effet, que les troubles et les invasions qui
signalèrent la fin de la période carolingienne, ainsi que la
condition quasi nomade à laquelle furent réduites alors la
plupart des communautés religieuses, causèrent la perte de
nombreux documents qu'on s'efforça de reconstituer aussitôt
qu'on eut recouvré quelque sécurité.
Il y a lieu seulement de s'étonner que les églises, pour renouveler
leurs titres perdus, aient eu si fréquemment recours à des
moyens aussi grossiers et aussi irréguliers, alors qu'elles avaient
à leur disposition un procédé légal, qu'elles
ne se firent du reste pas faute d'employer et dont les anciennes archives
nous ont conservé d'assez nombreux spécimens. Je veux parler
de l'appennis ou praeceptum de chartis perditis. Il y a
lieu de signaler ici les documents de cette sorte, car ils nous font
connaître la substance d'actes antérieurs qui avaient péri.
Dès le IIIe siècle, une constitution de l'empereur Gordien
(Cod. Justin., De fide instrum., I, 5) et peut-être plus
tard une autre d'Honorius et Théodose (Formul. Arvern., n°1,
éd. de Rozière, tome 1, n° 403) avaient prescrit la
procédure à suivre pour obtenir la réfection ou le
renouvellement de titres perdus.
Le demandeur devait obtenir de la curie l'autorisation de rédiger
un acte de notoriété remplaçant celui ou ceux qui avaient
été perdus. Afin que les tiers puissent faire valoir leurs
prétentions, un exemplaire en était affiché sur le
marché public (d'où le nom donné à l'acte,
appensa, appennis, d'appendere), tandis que l'autre
exemplaire, qui devenait le véritable titre, restait entre les mains
du demandeur. C'est là le procédé romain dont on retrouve
l'application dans un certain nombre d'actes que nous ont conservés
les formulaires.
Soit par imitation de cette législation, soit parce que les mêmes
besoins appellent les mêmes remèdes, les Francs adoptèrent
dans les mêmes cas une procédure analogue. Le demandeur adressait
au comte ou à l'évêque une requête
(plancturia), relatant le témoignage des voisins, en suite
de quoi le comte ou l'évêque délivrait une charte
(chartula quae vocatur appennis) qui tenait lieu des titres perdus,
et dont un exemplaire était affiché.
Ce procédé fit place à un troisième qui, après
avoir coexisté avec le précédent, prévalut par
la suite et fut très fréquemment usité depuis la fin
de l'époque mérovingienne: les titres perdus furent remplacés
par un diplôme royal confirmatif (Praeceptum de chartis perditis
ou combustis). Le demandeur, dans ce cas, au lieu de s'adresser
au comte ou à l'évêque la relation constatant la perte
des actes dont il sollicitait la réfection, l'envoyait au roi et la
chancellerie dressait un acte dont l'exposé rappelait, avec la
requête du demandeur, le procès-verbal des vicini,
et dont le dispositif confirmait, avec les actes perdus, la propriété
des biens dont ils avaient constitué les titres.
Plus tard, le procès-verbal constatant la perte fut même jugé
inutile, et la requête, transmise par l'intermédiaire d'un grand
personnage, suffit à provoquer un acte de réfection et de
confirmation des biens que le demandeur avait légitimement (juste
et legaliter) possédés. Cette dernière clause,
en ouvrant la voie à une revendication éventuelle, dégageait
la responsabilité royale et protégeait les droits des tiers,
qui auraient pu être lésés si, comme on en a des exemples,
le demandeur avait allégué une perte fictive et s'était
fait ainsi confirmer des biens à la propriété desquels
il n'avait jamais eu de titres. De pareils actes ne subissant plus l'affichage,
ne furent plus appelés appennes, mais praecepta de chartis
perditis ou combustis, et plus fréquemment par la suite
panchartae, pantochartae.
Le nombre des titres anéanties par suite des guerres, des invasions,
des pillages et des incendies fut considérable jusqu'à la fin
du Xe siècle, aussi les diplômes confirmatifs de titres perdus
dans ces conditions sont-ils assez abondants.
Il y a lieu d'observer au sujet des documents de ce genre que, si l'on doit
croire sur la foi de leur teneur qu'ils rapportent la substance d'actes beaucoup
plus anciens, on ne saurait cependant faire remonter avec certitude à
l'époque du titre primitif aucune des dispositions, aucune des clauses
qu'ils renferment. La date même du titre primitif reste presque toujours
incertaine, et lors même qu'elle est fixée approximativement
dans le diplôme confirmatif par un nom de souverain, elle n'est pas
à l'abri de toute contestation, car on sait que la tradition a souvent
mis sur le compte du principal bienfaiteur d'une abbaye les
libéralités de ses prédécesseurs et de ses
successeurs.
Il y a plus, cette mention que les titres confirmés ont été
perdus, détruits ou volés, semble s'être à la
longue figée en une formule banale et vaine, dont les rédacteurs
inconscients de diplômes confirmatifs se sont parfois servis, sans
que cela répondit à la réalité, dans les actes
qu'ils écrivaient. C'est le cas pour un certain nombre de confirmation
de l'époque post-carolingienne où l'on rencontre des mentions
de ce genre. Dans tous les cas, les confirmations générales,
dans lesquelles sont énumérés les biens et les
privilèges des concessionnaires, en ont retenu le nom de pancartes qu'elles ont porté jusqu'à la fin du moyen âge.
Un assez grand nombre de documents ne nous sont connus que par les confirmations postérieures dont ils ont été l'objet.
L'usage de demander la confirmation d'actes gracieux, soit aux héritiers
successifs des auteurs de ces actes, soit à une autorité
supérieure, remonte à l'antiquité et s'est
perpétué pendant tout le moyen âge. Ces confirmations
relatent, avec plus ou moins de précision et d'exactitude, la substance
des actes confirmés; elles en renferment parfois la copie intégrale,
d'autres fois n'en donnent que des extraits, des analyses ou même de
simples mentions.
Pendant la première partie du moyen âge et jusqu’au commencement
du XIIIe siècle, il a été universellement d’usage de
mentionner succinctement, au début d’une confirmation, l’acte ou les
actes confirmés en indiquant le nom ou les noms de leurs auteurs (parfois
aussi, on se contente d’exprimer que la concession est du à des rois
antérieurs, anteriores reges), puis de reproduire, plus ou
moins textuellement, la teneur de la dernière confirmation, mais sans
faire jamais mention expresse de cet emprunt, sans jamais avertir des
modifications, suppressions ou additions faites au texte antérieur,
et enfin de remplacer simplement le protocole final et notamment la date
de l’acte confirmé par un nouveau protocole et une date nouvelle.
Il nous est ainsi parvenu des confirmations, émanant des derniers
carolingiens ou même des premiers rois capétiens, qui relatent
des actes remontant par des confirmations successives jusqu’aux rois
mérovingiens. Lorsqu’on en possède la série à
peu près ininterrompue, on peut constater que le texte primitif,
d’abord assez fidèlement reproduit, subit cependant à la longue
des altérations, tantôt légères et insensibles,
parfois brusques et plus profondes, mais sans que jamais aucune mention en
prévienne le lecteur.
Il suit de là que, si le titre confirmé n’existe plus, on peut
bien présumer que l’acte confirmatif en a conservé en partie
la teneur, mais il est à peu près impossible de soupçonner
quelles modifications elle a dû subir, et dès lors on ne saurait
en bonne critique attribuer avec certitude aucune des dispositions de la
confirmation à la concession primitive.
Parfois certaines dispositions de l’acte primitif, expressément
modifiées ou abrogées plus tard, se sont conservées
longtemps telles quelles dans les confirmations successives. C’est ainsi
qu’il n’est pas rare de rencontrer dans les pancartes, confirmant ou
énumérant les possessions d’un monastère, la mention
de biens depuis longtemps aliénés.
Cela s’explique très naturellement par l’habitude de recopier, souvent
machinalement et sans s’enquérir des modifications qui avaient pu
se produire, les titres que l’on confirmait. Des erreurs de cette espèce
ne doivent donc faire suspecter en rien l’authenticité des actes où
on les rencontre, mais elles montrent qu’on ne saurait accorder une confiance
absolue à toutes les dispositions des actes confirmatifs.
Certains actes qui sont en réalité des confirmations ne renferment
aucune expression qui puisse leur faire attribuer ce caractère, et
bien que, comme les précédents, ils reproduisent en partie
la teneur d’actes antérieurs, ils ne contiennent aucune allusion à
ces actes (le fait est surtout fréquent pour les chartes communales
- XIIe et XIIIe siècle -; beaucoup de confirmations de chartes de
coutumes s’expriment comme si elles étaient la concession primitive).
Il est clair que dans ce cas la preuve que l’on a affaire à une
confirmation ne peut résulter que du rapprochement de l’acte
confirmé. A défaut de ce texte, on ne pourrait même tirer
aucun indice du style de l’acte, car il pourrait avoir été
copié sur un ancien formulaire ou calqué sur un document analogue.
Avant de réputer faux un acte dont le style archaïque semble
constituer un anachronisme, il faut donc toujours se demander s’il n’est
pas possible de présumer soit qu’il reproduit la teneur d’un acte
ancien, soit qu’il a été copié sur un ancien formulaire.
Quand on publie un acte confirmatif et que l’on connaît l’acte
confirmé, il faut toujours distinguer dans l’édition ce qui
est original de ce qui ne l’est pas et le rendre sensible par quelque artifice
typographique, en imprimant par exemple en plus petit texte tout ce qui a
été textuellement emprunté à l’acte primitif.
Les procédés de confirmation qu’on a décrits substituaient
en réalité un acte nouveau au document confirmé. La
teneur de l’acte primitif passait, il est vrai, pour la plus grande partie,
dans la confirmation, mais dépouillée, modifiée ou
altérée, soumise en un mot à la rédaction de
l’ace nouveau.
Loin d’avoir pour objet de conserver les actes anciens, les confirmations
tendaient à en annuler la valeur en créant des titres nouveaux,
et nous leur devons probablement la perte de plus d’un diplôme.
Lorsqu’il s’agissait non pas d’obtenir une confirmation, mais de produire
ou de communiquer un acte, il semble qu’on se soit longtemps contenté,
lorsqu’on ne voulait pas se dessaisir de l’original, de ces copies,
figurées ou non, mais dépourvues d’authenticité, dont
il a été question plus haut.
Le développement, l’organisation et la complication des formes de
la justice et de l’administration firent sentir, au XIIe siècle,
l’insuffisance et l’imperfection de ce mode de procéder. Dès
les premières années de ce siècle, on trouve en effet,
insérée dans certains actes et annoncée par une formule
la transcription intégrale d’autres actes. En 1108, par exemple, les
évêques de Limoges et d’Angoulême rapportent
intégralement, y compris la date, dans un acte par lequel ils investissent
l’abbé de Saint-Martial du monastère d’Anzème, la bulle
du pape Pascal II en vertu de laquelle ils agissent.
On appliqua le même procédé aux confirmations: en 1158,
le roi de France Louis VII, confirmant à l’église Saint-Julien
de Brioude l’immunité qui lui avait été concédée
par Charles le Chauve en 874, inséra dans cet acte le diplôme
de son prédécesseur, mais en en retranchant encore le protocole
initial.
Les formules annonçant ces transcriptions ne se fixèrent que
peu à peu et comportèrent toujours, du reste, de nombreuses
variantes. Pendant longtemps, l’ancienne forme des confirmations persista
concurremment avec la nouvelle. Il arriva aussi que l’on se borna à
reproduire des extraits de l’acte à confirmer, mais en annonçant
expressément la transcription; d’autres fois, au lieu de reproduire
purement et simplement le document primitif, on transposa le temps des verbes
de manière à donner à la citation la forme indirecte.
L’usage dura assez longtemps d’annoncer les transcriptions insérées
dans les confirmations par une formule telle que: Hoc est praeceptum,
haec est carta, haec est continentia curia. Sous Philippe
Auguste, l’usage commence à prévaloir d’attester que l’on a
lu et examiné l’acte dont la teneur suit: Noverint universi...
quod nos... legimus et inspeximus, ou nos legisse et inspexisse.
Plus tard on employa de préférence en France le mot
vidimus ou vidisse qui, fréquent déjà
dans les actes de Louis IX, devint une formule dans la chancellerie royale
à partir du XIVe siècle. De là le nom qui fut donné
dès cette époque aux documents de cette espèce: on les
appela des vidimus; d’où les juristes firent au XVIe siècle
le verbe vidimare et en français "vidimer". L’acte transcrit
dans un vidimus fut l’acte vidimé. On a dit aussi au moyen âge
des vidisse, mais ce terme n’a point passé en français.
Nous conserverons aux actes de cette catégorie le nom de vidimus, consacré par l’usage, et nous définirons
l’acte ainsi désigné: l’expédition authentique d’un
document sous la garantie d’une autorité constituée.
A partir du XIIIe siècle, les vidimus sont extrêmement abondants
et nous ont conservé un grand nombre de documents anciens que nous
ne connaîtrions pas sans eux. Les chancelleries souveraines
délivrèrent des vidimus pour confirmer des actes antérieurs.
Certains rois imaginèrent d’en faire un instrument de fiscalité:
les privilèges concédés par un souverain ne furent
réputés valables qu’à la condition d’avoir été
vidimés et confirmés par le roi régnant. De là
les nombreux vidimus de vidimus, qu’on pourrait dire élevés
parfois à la 6e ou 7e puissance, dont l’acte primitif occupe le centre,
tandis que les formules successives, initiales et finales, sont comme
enchâssées les unes dans les autres.
Les autorités laïques et ecclésiastiques, les officiers
publics, les notaires rédigèrent à la requête
des intéressés, des vidimus pour conserver un double authentique
d’actes dont on craignait la destruction pour permettre la production en
justice ou ailleurs de documents des originaux desquels on ne voulait pas
se dessaisir; les agents de l’administrations employèrent ce
procédé pour notifier à qui de droit les actes de
l’autorité, les mandataires relatèrent leurs pouvoirs sous
cette forme. Bref, on fit des vidimus dans tous les cas où il y eut
intérêt à rapporter intégralement des documents
antérieurs dans un acte authentique.
Les formules dans lesquelles l’acte vidimé fut inséré
varièrent naturellement suivant les circonstances. L’annonce de la
transcription fut presque toujours assez simple dans les actes émanés
des souverains, c’est à peine si l’on y ajouta parfois la mention
que l’acte antérieur était scellé; mais dans la plupart
des cas, la teneur du document reproduit fut suivie des formules de
confirmations.
Les vidimus des seigneurs et des évêques sont parfois aussi
accompagnés de clauses de ce genre. Au contraire les vidimus
délivrés sous le sceau des officiers publics ne se terminent
jamais ainsi; ils ne pouvaient pas avoir en effet de valeur confirmative.
En revanche, l’annonce de la transcription y est en général
assez développée. On y mentionna d’abord que l’acte vidimé
était revêtu du sceau de son auteur; on observa souvent que
le sceau était authentique et entier. Plus tard on spécifia
fréquemment le mode de suspension et la couleur du sceau, lorsque
ces particularités furent en relation avec la nature des actes. On
ajouta souvent que les lettres étaient saines et entières,
qu’elles ne portaient pas de ratures, qu’elles n’avaient été
ni abolies ni cancellées, qu’elles n’étaient viciées
en aucune de leurs parties, qu’elles n’étaient en rien suspectes,
qu’elles avaient été soigneusement examinées et qu’on
les transcrivait intégralement. Les clauses finales sont au contraire
très brèves; l’auteur de l’acte se borne généralement
à annoncer que, à la requête des intéressés,
pour valider le vidimus, il l’a scellé de son sceau.
Ces formules, qui n’eurent jamais une fixité absolue, comportaient
diverses variantes dictées par les circonstances:
- lorsque, par exemple, l’auteur du vidimus le délivrait à la
relation d’un clerc, d’un notaire, d’un tabellion ou d’un substitut, ce qui
était mentionné dans l’annonce de la transcription, et dans
la formule finale;
- lorsque le vidimus avait pour objet la notification de l’acte vidimé;
- lorsque l’acte vidimé était une commission, un pouvoir, une
délégation;
- lorsque l’on se bornait à reproduire un extrait de l’acte vidimé;
- lorsque l’acte avait pour objet l’acceptation ou la ratification pour l’une
des parties d’un compromis, d’un arbitrage, d’un règlement, etc.
On trouve dans les vidimus, sauf exceptions, la reproduction intégrale
(de verbo ad verbum) d’actes antérieurs. Assez souvent les scribes
y ont poussé la recherche de l’exactitude jusqu’à reproduire
la disposition des souscriptions et des signes qui les accompagnent - parmi
les vidimus faits avec le plus d’exactitude, il faut citer la plupart de
ceux qui ont été rédigés dans la chancellerie
apostolique -, mais cette exactitude est en général plus apparente
que réelle et ne doit pas faire croire que ces transcriptions ont
toujours été faites avec soin; c’est plutôt le contraire
qui serait vrai: les erreurs et les omissions du fait de l’ignorance et de
la négligence des copistes n’y sont pas rares; presque toujours ils
ont rajeuni la langue des actes anciens, très souvent ils ont
défiguré les noms propres. Aussi, en dépit de leur
caractère authentique, les textes que l’on trouve dans les vidimus
sont-ils en général forts médiocres. Plus l’acte
vidimé est ancien par rapport au vidimus, moins il y a de chances
que la transcription soit correcte; cette incorrection s’accroît
naturellement à chaque nouvelle copie dans les vidimus successifs
dont il a été question plus haut.
De même le caractère authentique d’un vidimus ne peut rien faire
présumer sur l’authenticité de l’acte vidimé, alors
même que cette authenticité serait affirmée dans
l’annonce de la transcription ou les clauses finales. Aussi bien, le nombre
des actes notoirement faux, vidimés comme authentiques, est
considérable. En somme, l’existence d’une copie vidimée ne
peut apporter qu’un élément à la critique d’un acte
suspect: la preuve que ce document existait antérieurement à
la date du vidimus.
Extrêmement nombreux jusqu’à la fin du XVe siècle, les
vidimus deviennent plus rares dès les premières années
du XVIe siècle et sont remplacés peu à peu par des actes
d’une forme un peu différente que nous nommerons copies
authentiques.
Dès le XIIIe siècle on rencontre, dans les documents du midi
de la France, des copies de chartes, délivrées par des notaires
publics et annoncées par des formules telles que Hoc est exemplum
sive translatum cujusdam carte cujus tenor talis est, et suivies d’une
sorte de certificat d’authenticité.
L’usage de délivrer des copies authentiques sous une forme analogue
se propagea en France au cours du XIIIe siècle et remplaça
de plus en plus fréquemment la forme des vidimus, dans les juridictions
royales, seigneuriales et ecclésiastiques. Ces copies débutent
généralement par les mots datum per copiam ou en
français Donné pour copie, placés en tête
du document, et généralement accompagnés de la date
de la transcription et de l’annonce du sceau de la juridiction sous la garantie
de laquelle elle est délivrée.
Les copies de cette espèce (copia, transcriptum,
translatum, transsumptum) furent peu à peu
employées dans tous les cas où la loi ne prescrivait pas, dans
un intérêt fiscal, la forme du vidimus, dans tous les cas aussi
où la reproduction d’un acte ne devait pas avoir valeur confirmative;
elles finirent même par se substituer complètement aux vidimus
au cours du XVIe siècle.
Il est inutile d’énumérer ici les formules diverses usitées
autrefois par les notaires et les officiers publics pour donner aux copies
le caractère authentique qui devait leur assurer une valeur juridique,
car, au point de vue de la critique, ce caractère
d’authenticité ne saurait plus avoir aucun intérêt: il
ne garantit en effet ni l’authenticité du document transcrit, ni
même la fidélité de la copie.
Un très grand nombre des documents du moyen âge nous sont parvenus
transcrits dans des recueils de date plus ou moins reculée. Ceux de
ces recueils où l’on trouve copiées des séries de documents
provenant des archives d’un établissement, d’une corporation, d’une
famille, d’un individu, sont appelés cartulaires (Cartularium, parfois Pancarta, et, dans le latin des
érudits Codex diplomaticus).
Il faut observer, au passage, que le mot cartularium ou
chartularium se rencontre parfois dans les auteurs du moyen âge
pour chartarium avec le sens de chartrier, d'archives. On a dit
aussi chartologium.
La plupart des cartulaires qui nous sont parvenus proviennent des
établissements ecclésiastiques (évêchés,
églises, abbayes, prieurés, etc.), mais il s’est conservé
aussi en grand nombre des cartulaires municipaux, des cartulaires
d’hôpitaux, de seigneuries, quelques cartulaires d’universités,
de collèges, de confréries, de corporations marchandes ou
industrielles et de familles.
Si l’on voyait des cartulaires dans les Chartarum tomi dont parle
Grégoire de Tours (Hist. Fr., l. X, c. 19), au VIe siècle
- il semble toutefois plus probable que cette expression désigne des
manuscrits de papyrus -, il en faudrait conclure que l’existence de recueils
de ce genre est fort ancienne, ce qui n’a rien que de vraisemblable; mais
les plus anciens qui nous sont parvenus sont du Xe siècle; ils sont
déjà plus nombreux au XIe siècle, plus nombreux encore
au XIIe et abondent à partir du XIIIe siècle. Toutes les
églises, tous les monastères, la plupart des villes, pour mettre
ordre à leurs affaires, pour assurer la conservation de leurs
privilèges, de leurs droits, de leurs titres de propriétés
et pour éviter de recourir sans cesse aux originaux, les firent copier
dans des cartulaires et les multiplièrent à l’envi.
Quoique le nombre des cartulaires conservés est considérables,
nous ne possédons cependant que la moindre partie de ceux que les
églises avaient fait exécuter. Nous savons, par les mentions
ou les citations qui en ont été faites, que certaines abbayes
n’en possédaient pas moins de quarante à cinquante; il est
vrai que la plupart de ces recueils contenaient les mêmes documents
et que d’autres étaient des cartulaires spéciaux à certains
droits ou à certains domaines.
Certaines cours souveraines ou seigneuriales, et en particulier les chambres
des comptes, qui avaient dans leurs attributions l’administration des domaines,
firent recueillir dans des séries de cartulaires tous les documents
qui pouvaient servir à maintenir ou à revendiquer les
privilèges et les droits domaniaux.
La plupart des cartulaires se présentent à nous sous forme
de registres, composés de cahiers de parchemin à
l’époque ancienne et, jusqu’au XVIIe siècle, souvent aussi
de cahiers de papier depuis le XVe siècle. Il en est cependant qui
consistent en rôles ou rouleaux (rotuli), formés de
feuilles de parchemin cousues bout à bout.
Dans quelques cartulaires anciens, les copies ont été
intercalées dans un récit, ou accompagnées de notes
historiques qui constituent en quelque sorte une chronique ou des annales
de l’établissement. C’est le cas, par exemple, pour le plus ancien
cartulaire de l’abbaye de Saint-Bertin, de Saint-Omer, écrit vers
962 par le moine Folquin et intitulé par lui Gesta abbatum
Sithiensium.
Certains de ces recueils participent à la fois des caractères
des chroniques et de ceux des cartulaires, à ce point qu’il est difficile
de savoir dans laquelle de ces deux catégories de documents il faut
les ranger.
Ce sont là toutefois des oeuvres exceptionnelles: la plupart des
cartulaires se composent exclusivement de chartes, qui ne sont
séparées les unes des autres que par des titres ou des analyses
plus ou moins développées. Parfois seulement ils débutent
par une espèce de préface, exposant dans quelles circonstances
et par les soins de quel personnage ils ont été entrepris.
Il en est ainsi du moins jusqu’à la fin du XIIIe siècle; mais
à partir de cette époque, il arriva parfois que, pour donner
aux transcriptions un caractère légal d’authenticité
et leur assurer une valeur juridique, afin de pouvoir produire le cartulaire
en justice au lieu et place des originaux, on prit la précaution de
le faire vérifier par des notaires publics et d’accompagner chaque
acte de certificats analogues à ceux sont il a été question
plus haut.
Dans certains cartulaires on s’est contenté d’un seul procès-verbal
de collationnement placé en tête ou à la fin du volume.
Les cartulaires ainsi dressés sont nombreux à partir du milieu
du XIIIe siècle; et à la fin du XVIIIe siècle encore
l’archiviste de Saint-Bertin, don Ch. Dewitte, faisait parapher à
chaque page et authentiquer par deux notaires royaux le "Grand cartulaire
de l’abbaye de Saint-Bertin" qu’il avait composé.
Dans la plupart des cartulaires les actes sont disposés en ordre
méthodique: tout d’abord les privilèges généraux
des papes, des souverains (empereurs ou rois), des archevêques ou
évêques, des seigneurs, etc.; puis viennent les titres des
propriétés, généralement classées
topographiquement. Très souvent les premiers compilateurs avaient
ménagé, à la fin de chaque division, des feuillets blancs
destinés à recevoir les actes postérieurs. Leurs successeurs
les y ajoutèrent en respectant d’abord l’ordre primitif, puis sans
ordre et au hasard de la place restée libre, lorsque quelques-uns
des espaces laissés vides furent comblés.
On rencontre aussi quelques cartulaires où les pièces sont
classées chronologiquement, mais c’est l’exception et ce sont en
général des recueils ou bien antérieurs à la
seconde moitié du XIIe siècle, ou postérieurs au XIVe.
La plupart des abbayes, en dehors de leurs cartulaires généraux,
en formaient qui été relatifs à certaines catégories
d’actes. Nous possédons par exemple le cartulaire des serfs (Liber
de servis Majoris Monasterii) et le cartulaire pour le Dunois (Bib.
nat. ms. lat. 12874), de l’abbaye de Marmoutiers, le cartulaire des acquisitions
de l’abbaye de Wissembourg (Traditiones possessionesque
Wissenburgenses), le cartulaire censier de l’église de Metz,
etc.
Fréquemment les cartulaires étaient désignés
soit par des noms qui rappelaient quelque particularités de leur aspect,
le nom de leur auteur ou de celui qui avait présidé à
leur exécution, soit plus simplement par les lettres de l’alphabet.
C’est ainsi que la commune de Bordeaux avait le Livre des bouillons,
celle de Saint-Quentin le Livre rouge; l’abbaye de Saint-Martin de
Tours, la Pancarte noire, la Pancarte rouge, la Pancarte
blanche.
Il en est des actes transcrits dans les cartulaires comme de ceux qui sont
rapportés dans les vidimus ou conservés par des copies
isolées; le fait qu’un acte a été transcrit dans un
cartulaire ne saurait en aucune manière en garantir ou même
en faire présumer de l’authenticité. Il incombe à la
critique de les apprécier et de porter un jugement sur chacun d’eux.
Toutefois les irrégularités qu’on rencontre dans la teneur
des actes transcrits dans les cartulaires ne sont pas une présomption
de falsification. Plus encore que les scribes des vidimus, les rédacteurs
des cartulaires ont pris avec les actes qu’ils copiaient, et surtout avec
les actes anciens, les plus grandes libertés.
Il y a eu sans doute des copistes de cartulaires consciencieux et exacts;
quelques-uns ont pris soin de respecter dans leurs transcriptions toutes
les particularités du style, de la langue et même de
l’orthographe des actes anciens (ex.: cartulaire de l’abbaye de Lezat); certains
d’entre eux se sont même appliqués avec plus ou moins de
succès à reproduire par le dessin les sceaux dont étaient
revêtus les originaux; mais ce sont là des exceptions.
Sans parler des fautes d’inadvertance, nombreuses dans beaucoup de cartulaires
de toutes les époques, on peut constater dans nombre de ces compilations,
et particulièrement dans celles qui sont antérieures au XIIIe
siècle, que leurs rédacteurs ont souvent fait subir aux actes
des modifications profondes. Presque toujours ils en ont rajeuni
l’orthographe et le style, n’hésitant jamais à substituer aux
formes barbares, si intéressantes pour l’histoire de la langue des
formes plus correctes, défigurant les noms propres, quelquefois avec
l’intention de les rapprocher des formes de leur temps, modifiant les tournures
de phrases lorsqu’elles leur paraissaient fautives.
Ce qui est plus grave encore, c’est qu’ils se sont souvent permis
d’allonger ou d’abréger les actes, de transformer les chartes en notices
en les résumant et en les faisant passer du style direct au style
indirect.
Il y a des cartulaires entiers dont les actes ont subi ce remaniement; on
les appelle quelquefois des Cartulaires-notices. Réciproquement,
les rédacteurs des cartulaires ont parfois transformé une notice
en charte solennelle, en y ajoutant un préambule et en substituant
le style direct au style indirect.
A certaines formules qu’ils trouvaient vieillies et passées de mode,
ils en substituaient de nouvelles, d’autres fois, ils développaient
le texte même des actes en en précisant les énonciations;
ils trouvaient bon d’y insérer des clauses de réserve ou de
garantie, y ajoutaient mention de confirmations postérieures,
intervertissaient l’ordre des témoins, en supprimaient ou même
en ajoutaient de nouveaux; souvent enfin, ils modifiaient les dates, en
interprétaient les éléments chronologiques et y
substituaient des formules de datation nouvelles. On peut concevoir combien
de semblables altérations sont susceptibles de dérouter la
critique.
Il n’a été question jusqu’ici que des compilations qui
méritent vraiment le nom de cartulaires. Il convient d’ajouter quelques
mots sur les recueils auxquels ce nom a été attribué
abusivement.
On a formé parfois, dans le midi de la France particulièrement,
des recueils de pièces originales, réunies ensemble sous une
reliure: il est arrivé aussi que l’on a recueilli et rassemblé
de même d’anciennes copies de chartes, authentiques ou non, extraites
pour la plupart de dossiers de procédure. Les recueils factices de
ce genre, lorsqu’ils sont formés de pièces provenant d’un
même fonds, sont souvent désignés sous le nom de cartulaires,
mais improprement.
C’est aussi par abus que l’on a fréquemment donné ce nom à
des registres ou à des copies de registres officiels dont il sera
question plus loin. Les documents connus par exemple sous le nom de Cartulaires de Philippe Auguste sont des registres de chancellerie
et non pas des cartulaires. Il est vrai qu’un long usage a ici en quelque
sorte consacré cette appellation.
Beaucoup d’érudits ont, par analogie, nommé cartulaire des
recueils de chartes formés par eux et publiés, d’après
des originaux ou des copies. C’est ainsi que nous avons un Cartulaire
général de l’Yonne, un Cartulaire roussillonnais,
un Cartulaire lyonnais, un Cartulaire général de
Paris, etc. Cette dénomination est d’autant moins justifiée,
particulièrement dans les exemples cités ici, que ces publications
se composent de documents auxquels manque l’unité de provenance,
caractère essentiel des anciens cartulaires. Il vaut mieux nommer Recueils de chartes les compilations de cette espèce.
Enfin, il est à propos de noter ici que le terme cartulaire a eu aussi
au moyen âge une acception différente de celle qui a été
indiquée plus haut. Il a désigné, dans le midi de la
France et en Italie, dès le XIIIe siècle pour le moins, les
registres sur lesquels les notaires devaient écrire les minutes des
actes qu’ils étaient chargés de dresser.
Les chroniqueurs ont assez souvent inséré dans leurs ouvrages
des chartes qu’ils nous ont ainsi conservées. Il en est de ces documents
comme de ceux qui sont transcrits dans les cartulaires. Ils ont fréquemment
subi des altérations de même nature, et souvent une analyse
s’est substituée au texte primitif; parfois aussi l’auteur a pu, dans
l’intérêt de la cause qu’il défendait, leur faire subir
des remaniements et des interpolations, sinon même les fabriquer de
toutes pièces. Pour en apprécier la valeur, la critique
diplomatique doit donc ici ajouter aux ressources qu’elle cherche dans la
teneur même des actes, des renseignements, empruntés à
l’historiographie, sur le degré de confiance que méritent
l’ensemble de l’oeuvre et son auteur.
Un nombre considérable de documents nous sont parvenus transcrits
dans des recueils qu’on a parfois confondu avec les cartulaires ou rangés
dans la même classe bien qu’ils s’en distinguent nettement; je veux
parler des Registres.
L’usage d’enregistrer certains actes remonte à l’antiquité.
Les registres publics (gesta municipalia) qui, dans chacun des municipes
romains, recevaient l’insinuation des actes privés, furent tenus
jusqu’au début des temps barbares aussi longtemps que vécurent
les curies qui en avaient la garde. Aucun de ces registres ne nous est parvenu,
et, en dehors des prescriptions législatives, il n’en a substitué
la trace que dans les formules d’insinuation qui survivent jusqu’au Xe
siècle dans certains contrats aux formalités dont elles
prescrivaient l’accomplissement. Il n’en est rien resté non plus des
registres du même genre, rétablis au XIIe siècle dans
le midi de la France sous l’influence du droit romain.
Nous avons conservé, en revanche, un grand nombre de registres de
chancellerie. Les lettres écrites par les papes furent transcrite
dans des registres officiels dès une époque très
reculée; ces premiers recueils sont perdus ou il n’en subsiste que
des fragments qui ne reproduisent qu’imparfaitement les registres primitifs;
mais à partir du pontificat d’Innocent III, les archives du
Saint-Siège ont conservé la série presque complète
des registres de la chancellerie pontificale.
Ce fut vers le même temps que l’usage de garder copie de certains des
actes expédiés au nom des princes se répandit dans les
chancelleries des souverains de l’Europe. La plupart du temps des registres
furent destinés à cet usage; en Angleterre, on se servit longtemps,
au lieu de registres, de rouleaux ou rôles de parchemin.
Ce n’est pas ici le lieu d’étudier la question de savoir comment se
faisait cet enregistrement, si c’était d’après la minute ou
l’expédition, et quels étaient les actes qui devaient être
enregistrés; ce qu’il suffit de noter, c’est que nous devons aux
séries de recueils de ce genre, qui se trouvent dans les grandes archives
de l’Europe, la conservation d’actes innombrables. Ces transcriptions
n’étaient à l’abri ni des omissions, ni de toutes les fautes
qui peuvent provenir de la négligence des copistes; mais, à
la différence des documents copiés dans les cartulaires, ceux
que l’on rencontre dans les registres des chancelleries sont d’une
authenticité certaine. Il en faut excepter, bien entendu, les actes
de date antérieure qui peuvent y avoir été
insérés exceptionnellement. Ces copies ne sont pas toutefois
identiques aux originaux; les formules en sont ordinairement abrégées
et remplacées par des « etc. », et les dates même
présentent parfois avec celles des originaux des différences
légères.
Avec le temps les registres de chancelleries ne furent pas seuls à
recevoir la transcription des actes des souverains: les cours souveraines
ouvrirent des registres destinés à enregistrer certains actes
de l’autorité royale. Bientôt toutes les autorités, toutes
les juridictions, contentieuses ou gracieuses, tous les corps constitués
en vinrent à consigner dans des registres, leurs actes, leurs jugements,
leurs décisions, leurs délibérations. Les registres
de justice et de délibération, ceux des notariats et des
tabellionnages, se sont conservés pour ainsi dire innombrables dans
toute l’Europe; les plus anciens remontent au XIIIe siècle; ils sont
déjà extrêmement nombreux au XIVe siècle; ce sont
des mines inépuisables de renseignements que les archives mettent
à la disposition des historiens.
Une dernière catégorie de recueils nous a conservé bon
nombres d’anciens documents; ce sont les anciens Formulaires. Il y aura lieu
d’en reparler plus loin; je me bornerai à observer ici que si les
compilateurs de ces recueils ont presque toujours réuni pour les proposer
comme modèles des actes véritables, ils en ont presque toujours
aussi retrancher une partie de ce qui pouvait leur donner une valeur historique:
noms propres, énonciations particulières, dates, etc. Nous
verrons cependant qu’il est souvent possible de les utiliser en vue de
l’histoire et de la critique.
La trace de beaucoup de documents perdus ou détruits se peut retrouver
dans des inventaires antérieurs à l’époque où
ils ont disparu. Les anciens inventaires d’archives sont donc une source
d’information qu’il ne faut pas négliger, et d’autant moins que les
mentions mêmes de chartes qui se sont conservées peuvent apporter
à la critique un utile secours. Les dépôts d’archives
n’ont guère cessé d’être l’objet de travaux de ce genre,
et il subsiste de très anciens inventaires de certains d’entre eux.
Les documents y sont parfois l’objet d’analyses assez détaillées,
mais tous, les plus anciens comme ceux qui ne remontent qu’aux dernières
années de l’ancien régime, ont été faits au point
de vue exclusif des droits utiles; ils ont en conséquence
relégué souvent au second plan ou même omis des documents
que les historiens auraient eu le plus grand intérêt à
connaître. Il suit de là qu’il ne serait pas légitime
de conclure de l’absence de mention d’un document dans un inventaire ancien
à la non-existence de ce document à la date où
l’inventaire a été exécuté.
Livre des sources médiévales:
SOMMAIRE
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